Lignes quotidiennes

Lignes quotidiennes
Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 22 novembre 2025

Gaza et l'Algérie

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Les débats et discussions à propos du vote de l'Algérie au Conseil de sécurité en faveur du pseudo "plan de paix" à Gaza démontrent qu'au-delà des crispations chauvines et narcissiques, il existe bel et bien un courant droitier en Algérie qui ouvrira grand les bras à une normalisation avec Israël.

L'Algérie a voté une résolution néocoloniale concernant Gaza (abstention de la Russie et de la Chine).
Cela n'enlève rien au soutien du peuple algérien au peuple frère palestinien.
C'est le monde réel qui s'impose.
Et qui met fin à la fantasmagorie et à la grandiloquence.

Les Gazaouis sont seuls et bien seuls.
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vendredi 21 novembre 2025

Séries, narcotrafic et violences

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C’est une scène comme on en voit des dizaines dans les séries traitant du trafic de drogue.
Elle se déroule dans 𝑃𝑙𝑎𝑖𝑛𝑒 𝑜𝑟𝑖𝑒𝑛𝑡𝑎𝑙𝑒 récemment diffusée par Canal+.
On y voit Reda, le personnage principal, abattre de sang-froid un homme à terre (un petit soldat du trafic) déjà blessé.
Le dit Reda ne montre aucune émotion.
Je sais que beaucoup de personnes récuseront mon opinion – car c’est une opinion et non pas un travail de recherche sociologique – mais on ne m’enlèvera pas de la tête l’idée que cette banalisation et, pire, cette esthétisation, de la violence par armes à feu contribuent aux dérives fatales liées au narcotrafic.
Combien de soldats perdus du deal ont eu ou ont encore pour modèles des personnages (abjects) comme Tony Montana (𝑆𝑐𝑎𝑟𝑓𝑎𝑐𝑒), Stringer Bell (𝑇ℎ𝑒 𝑊𝑖𝑟𝑒) ou même Walter White (𝐵𝑟𝑒𝑎𝑘𝑖𝑛𝑔 𝑏𝑎𝑑) ?
Bien entendu, la violence des fictions ne saurait être la principale raison des violences liées au trafic de drogue. Elle ne saurait faire oublier toutes les conditions politiques, économiques et socio-urbaines qui génèrent cette économie malfaisante.
La solution n’est certainement pas la censure.
Mais peut-être faut-il aussi que les scénaristes et réalisateurs réfléchissent aussi à ce qu’ils génèrent comme représentations.
Et n'oublions pas les images réelles de violence que charrient désormais les réseaux sociaux.
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lundi 3 novembre 2025

Israël et Sparte

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En septembre 2025, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré : "Nous allons devenir super-Sparte".

https://information.tv5monde.com/international/nous-allons-devenir-super-sparte-netanyahu-defend-lisolement-croissant-disrael-et-suscite-des-critiques-2791339

Un salut au troll mono-neurone genevois !

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lundi 20 octobre 2025

Entretien avec Mohamed Arkoun : Islam et éducation

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Le Monde de l’Éducation, Paris, septembre 1996

Propos recueillis par Mohammed et Akram Belkaïd

 


Intellectuel et penseur d’origine algérienne, Mohamed Arkoun (1) est docteur ès lettres et professeur émérite à la Sorbonne nouvelle-Paris-III. À travers une œuvre très importante, Mohamed Arkoun a développé une nouvelle discipline, l’« islamologie appliquée » destinée. confronter les discours islamiques aux exigences de l’homme et de la société.

 

 

« Peut-on envisager une éducation de type moderne en Islam ?

– Poser la question de cette manière n’est pas correct parce que le mot « islam » est trop général aujourd’hui. À quoi se réfère-t-il exactement ? Est-ce un système de croyances et de non-croyances, à un corps de doctrines théologiques, à un code éthico-juridique, ou à ses expressions culturelles variées selon les pays et les groupes ethnoculturels répandus à travers le monde ? On ne peut mélanger tous les niveaux, comme le fait la pratique actuelle des discours militants répercutés par la littérature politologique et les médias. Il est donc préférable, de parler de contextes islamiques.

En matière d’éducation en contextes islamiques, il faut distinguer l’éducation religieuse proprement dite et l’enseignement des disciplines scientifiques, plus ou moins conditionné par un cadre de pensée théologique. Dans la période classique (750 – 1258), l’enseignement religieux a bénéficié de la pluralité d’écoles théologiques, juridiques, mystiques ; progressivement, des traditions fixées dans des manuels se sont imposées à l’extérieur de chaque école. Aujourd’hui, le même enseignement religieux est étatisé et introduit dans l’école publique obligatoire, gratuite, mais fort éloignée de la neutralité laïque. Les maîtres chargés de cet enseignement n’ont accès qu’à des fragments insignifiants, parfois dangereux, d’une théologie popularisée depuis le siècle.

Une éducation plus centrée sur la connaissance philosophique s’est répandue aussi à l’époque classique, comme en témoignent les ouvrages de Miskawayh et de Ghazali (tous deux du XIe siècle). Cette ligne philosophique a été abandonnée après la mort d’Averroès (1198). Aujourd’hui, l’idéologie nationaliste, relayée par l’idéologie islamiste, a accentué le fossé entre sciences exactes étudiées comme en Occident et sciences sociales et humaines fortement contrôlées par plusieurs États-nations-partis.

 

– Mais existe-t-il en dehors de cette idéologie islamiste des points de repère en matière d’éducation ?

            – Les points de repère riches d’enseignements sont tous situés dans la période arabe classique, c’est-à-dire la période médiévale en Europe. Les musulmans aiment à s’y référer pour opposer leurs richesses intellectuelles à un Occident fier de sa modernité. Ce débat et cette attitude vis-à-vis d’un passé lointain pèsent lourdement sur l’enseignement de l’histoire aujourd’hui. En vérité, il convient d’admettre que tout ce qui s’est passé dans la pensée moderne en Europe depuis le XVIe siècle est rigoureusement inconnu de la pensée en contexte islamique. Le fait est qu’on ne peut faire référence à des auteurs en contexte islamique classique que par curiosité historique et surtout pas en tant que références applicables aujourd’hui. Il y a donc un vrai travail de réévaluation à accomplir. Comment investir des outils modernes vis-à-vis d’un public scolaire qui plonge justement dans le désordre sémantique créé par l’idéologie nationaliste et islamiste dans les sociétés qui se disent musulmanes ? Comment débroussailler un terrain occupé par des idées fausses avant même d’installer un certain nombre d’idées modernes au sujet de l’éducation ?

            À la Sorbonne, je suis confronté aux résistances de certains de mes étudiants, largement influencés par des auteurs qui ont reçu un enseignement fortement marqué par l’apologétique de l’islam et de la nation arabe. C’est contre cette vision qu’il faut lutter aujourd’hui si l’on veut introduire une approche nouvelle d’un enseignement moderne qui serait donné à un auditoire caractérisé par le pluralisme ethno-culturel, et la nécessité démocratique de respecter toutes les convictions et les positions cognitives.

 

– Face aux problèmes que peuvent poser les jeunes d’origine maghrébine en France, faut-il leur fournir un enseignement sur l’islam ?

            – Il est hors de question dans le contexte français, où l’école est laïque, d’enseigner l’islam sous ses expressions « orthodoxes » destinées à conforter les croyances propres à une communauté. Je vois mal comment on pourrait enseigner l’islam dans un pays qui a exclu même l’enseignement du fait religieux. En revanche, ce qu’il faut défendre en France, c’est un enseignement de l’histoire comparée des religions et, bien entendu, celle des trois religions monothéistes qui sont le plus représentées dans le contexte européen. Il s’agit là d’une nécessité scientifique et culturelle.

            En éliminant tout ce qui est religieux, l’État laïciste a éliminé une partie considérable de la culture de chacun, de son histoire culturelle, intellectuelle et artistique. Ce n’est pas de la neutralité, mais de l’atrophie culturelle et intellectuelle, si bien que nombre de Français sont aujourd’hui analphabètes en matière d’histoire des religions.

            On a supprimé les outils les plus élémentaires pour comprendre des données millénaires qui ont marqué profondément toutes les sociétés et les cultures dans le monde. La laïcité comprise de façon militante s’est traduite en France par l’élimination totale de la pensée théologique, qui est pourtant une activité intellectuelle aussi intéressante et aussi instructive que l’activité philosophique. Si on introduit une histoire comparée des religions, le musulman de France sera immédiatement transformé dans sa perception de ce qu’il appelle l’islam. Nos « beurs » partagent l’ignorance générale, qui est une ignorance institutionnalisée et transmise par l’institution éducative telle qu’elle a été définie par la IIIe République.

 

– Les pays du Maghreb n’ont pas suivi le même chemin en introduisant l’enseignement de la religion dans leurs programmes, et le résultat est pourtant loin d’être positif…

– Ces pays ont également enseigné une ignorance institutionnalisée payée par l’État, consignée par les programmes officiels et perpétuées par un grand nombre d’enseignants improvisés qui n’ont pas été formés à l’histoire de la pensée islamique. Que n’a-t-on pas lu et entendu au sujet par exemple des chrétiens et des juifs, dont le Coran a beaucoup parlé en des termes qui méritent une relecture moderne, tenant compte de la critique historique. Nous avons enseigné officiellement dans nos écoles, après les indépendances, une ignorance institutionnalisée à propos de l’islam lui-même et des autres religions. Cet enseignement a produit des esprits fortement conditionnés à propos de la notion même de vérité religieuse et de la place de l’islam devant les autres systèmes de vérité. Ce qui est enseigné à propos de l’Islam n’a rien à voir avec ce que les penseurs musulmans ont enseigné pendant la période classique.

 

– Pour en revenir à la France et à sa population d’origine maghrébine, on parle tout de même d’un « besoin d’islam ».

            — Je pose la question sous un angle culturel : comment donner des réponses adéquates à des demandes légitimes des musulmans qui vivent en France, sachant. Que, s’ils savent multiplier des demandes cultuelles, ils ne parviennent pas à articuler des demandes culturelles et intellectuelles modernes ? Il ne faut pas faire aussi l’erreur d’englober des populations ethnoculturelles et nationales différentes d’origine musulmane sous l’étiquette « islam ».

            L’État français, jacobin, centralisateur, a déjà fait prévaloir la construction de l’unité nationale sur le respect des cultures et des langues locales depuis la Révolution. Voyez la situation actuelle de la Corse. Sur le continuent, des régions comme la Bretagne, la Savoie, la Provence, l’Alsace sont « assimilées » dans le creuset de la nation française. Politiquement et philosophiquement, l’État français n’est donc pas préparé à répondre adéquatement à des demandes culturelles qui favoriseraient des « identités » arabe, turque, berbère, algérienne… Cela veut dire qu’il faut entamer un débat riche, ouvert sur l’avenir pour déterminer les évolutions nécessaires de l’État-nation européens dans un espace européen plus large, et la place des cultures nombreuses qui veulent s’affirmer et vivre au sein de cet espace. On voit que les revendications des Maghrébins, des Corses, des Africains… ne peuvent être prises en charge que dans un cadre renouvelé des rapports entre États de droit et sociétés civiles. En participant activement à la recherche de solutions, les musulmans de France et d’Europe auront la chance de traverser des étapes historiques pleines d’enseignements pour des orientations semblables en contextes islamiques.

 

– Vous proposez donc une autre forme d’intégration ?

            – Mon approche d’un pluralisme culturel affecte ainsi la conception de l’intégration à la manière de la IIIe République. Pour moi, l’intégration doit être pensée et construite dans le cadre d’une anthropologie politique, culturelle et religieuse qui reste elle-même à élaborer sous la pression grandissante des demandes « d’identité ». Il ne s’agira pas de céder à un relativisme généralisé des valeurs et des différences revendiquées dans chaque cas : une réévaluation critique de toutes les formulations identitaires sera aussi une tâche centrale permanente de l’anthropologie évoquée ici. Le conservatisme, le dogmatisme, les rigidités doctrinales ne sont pas uniquement du côté des religieux, on peut trouver ces traits même dans certaines postures de la raison moderne. C’est en tout cas dans cet effort de la pensée, tendu vers l’identification de solutions universalisables, porteuses d’avenir pour l’émancipation de la condition humaine, c’est dans cette direction que je m’efforce d’inscrire les contributions de toute pensée liée à un contexte islamique. »

 

Propos recueillis par Mohammed et Akram Belkaïd

 

(1) Mohamed Arkoun est notamment l’auteur de L’Humanisme arabe aux IVe/Xe siècles (Vrin, 1982), Essais sur la pensée islamique, Pour une critique de la raison islamique (Maisonneuve-Larose, 1984), Ouverture sur l’islam (J. Grancher, 1992).

vendredi 9 mai 2025

Gaza : Quand Tartuffe s’indigne

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Par Akram Belkaïd
Soudain, la conscience assoupie donne quelques signes de vie. Celles et ceux qui empêchaient – qui empêchent encore – les défenseurs du peuple palestinien de s’exprimer ont désormais des remords ou, simplement, ils sentent bien que la situation est intenable et que cette sanglante affaire va trop loin. Bref, ce qui se déroule à Gaza les indigne, du moins officiellement. Oh, certes, ils n’iront pas jusqu’à utiliser des termes et des expressions comme « génocide » ou «nettoyage ethnique» mais devant l’avalanche d’images abominables, de témoignages indiscutables sur les crimes répétés et délibérés de l’armée israélienne, leur vient un sursaut d’âme. L’exemple le plus caricatural est celui de madame Delphine Horvilleur qui évoque la « 𝑓𝑎𝑖𝑙𝑙𝑖𝑡𝑒 𝑚𝑜𝑟𝑎𝑙𝑒 𝑑’𝐼𝑠𝑟𝑎𝑒̈𝑙 » (1). Mieux vaut tard que jamais nous dira-t-on, mais qui est dupe ?
Nombre de journaux français ont écrit qu’Horvilleur sortait « de son silence ». Mais elle ne s’est jamais tue ! Bien au contraire, comme nombre de personnalités médiatiques qui prétendent décerner seuls les brevets d’humanisme (Joann Sfar, Anne Sinclair) elle a jusque-là contribué par ses sorties régulières à diaboliser les voix qui, dès octobre 2023, ont mis en garde contre le risque évident de génocide à Gaza (et cela tout en condamnant les atrocités commises par le Hamas le 7 octobre). Demandez à Blanche Gardin ou à Aymeric Caron ce qu’ils en pensent.
Les intentions du gouvernement israélien étaient pourtant claires dès le 8 octobre 2023 mais ce tir de barrage a permis au premier ministre Benjamin Netanyahou de gagner toujours plus de temps pour poursuivre sa basse besogne. À la moindre critique, à la moindre mise en cause de Tel Aviv, l’accusation infamante d’antisémitisme était brandie - elle continue à l’être -, pour empêcher que des sanctions concrètes ne soient prises à l’encontre d’Israël ou, encore, pour empêcher que l’opinion publique française ne prenne la mesure de l’immense drame humanitaire qui se déroule à Gaza et qu’elle fasse pression sur ses élus. Souvenons-nous ainsi du « soutien inconditionnel » à Israël revendiqué par la présidente de l’Assemblée nationale française Yaël Braun-Pivet. L’intéressée a regretté l’usage de ces deux mots mais bien des mois après qu’ils furent prononcés. De longs mois où l’armée israélienne a eu le temps. Le temps de détruire, de saccager, de tuer des foules de civils, de larguer sur Gaza plus de bombes que ne le fit l’aviation alliée sur l’Allemagne durant la seconde guerre mondiale. Le temps de tout raser.
Parmi les partisans de cet État – car il s’agit bien d’un État qui existe contrairement à celui de Palestine qui ne verra peut-être jamais le jour –, je ne doute pas que la majorité d’entre eux soient vraiment secoués, humainement écœurés, par ce qui se passe à Gaza (je mets de côtés les racistes anti-arabes et autres fanatiques islamophobes qui, pauvre d’eux, jubilent quotidiennement). Mais où sont les condamnations fermes ? Où sont les demandes de sanctions ? Où sont les protestations après que Paris a autorisé Netanyahou à emprunter l’espace aérien français alors qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international ? Bref, où sont les ruptures qu’exige une telle situation macabre ? Cela me rappelle cette phrase attribuée à Chadli Bendjedid, alors président de l’Algérie : « 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑠𝑜𝑚𝑚𝑒𝑠 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑙𝑎 𝑃𝑎𝑙𝑒𝑠𝑡𝑖𝑛𝑒 𝑞𝑢’𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑠𝑜𝑖𝑡 𝑗𝑢𝑠𝑡𝑒 𝑜𝑢 𝑖𝑛𝑗𝑢𝑠𝑡𝑒 ». Cela avait alors alimenté nombre de discussions, plusieurs membres de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) n’ayant pas vraiment apprécié la possibilité d’un comportement « injuste » de la part de leur mouvement. Aujourd’hui, le slogan est passé de l’autre côté de la ligne de front. Soudaine prise de conscience ou pas, indignation sincère ou pas, peine profonde ou de surface, cela reste 𝑖𝑛 𝑓𝑖𝑛𝑒
« avec Israël quoi qu’il fasse ».
En réalité, et c’est tout le problème de la nature humaine, le dégoût face à l’abjection semble cohabiter avec le soulagement de voir qu’un « problème » majeur d’Israël est en passe d’être -enfin- réglé, fut-ce de la pire des manières. Interrogez un wasp américain à propos du génocide amérindien. Il adoptera une mine contrite, dira toute sa compassion puis il finira par lâcher que c’est ainsi, que l’histoire est violente, que le passé est le passé, que cela ne fera pas revenir Geronimo, que Kevin Costner a tout de même fait un film émouvant et la discussion passera alors à autre chose de plus convivial. Parlera-t-on ainsi des Gazaouis en 2048 ? Entendra-t-on ce genre de phrase « 𝑂𝑢𝑖, 𝑞𝑢𝑒 𝑣𝑜𝑢𝑙𝑒𝑧-𝑣𝑜𝑢𝑠, 𝑐’𝑒𝑠𝑡 𝑙’ℎ𝑖𝑠𝑡𝑜𝑖𝑟𝑒, 𝑚𝑎𝑖𝑠, 𝑠𝑎𝑣𝑒𝑧-𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑞𝑢’𝑜𝑛 𝑡𝑟𝑜𝑢𝑣𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑏𝑜𝑛𝑛𝑒 maqlouba 𝑎̀ 𝑇𝑒𝑙 𝐴𝑣𝑖𝑣 ? »
L’expulsion annoncée d’une partie – voire de la totalité car tout est possible – des Palestiniens – nous savons tous que la prochaine étape sera la Cisjordanie, ville après ville - offrira de nouvelles terres aux colons israéliens et modifiera l’équation démographique dans l’aire géographique correspondant à la Palestine mandataire. Que des civils, dont des enfants meurent chaque jour pour cette raison, ne change rien à l’affaire pour celles et ceux qui ont ce « résultat » en tête même si cela serre – un peu – leur gorge. Gaza sera peut-être un fantôme qui hantera les bonnes consciences mais elle ne représentera plus cette menace sourde intériorisée par tant d’Israéliens. 𝑆𝑖 𝑐’𝑒𝑠𝑡 𝑙𝑒 𝑝𝑟𝑖𝑥, 𝑎𝑝𝑟𝑒̀𝑠 𝑡𝑜𝑢𝑡…
Leurs critiques, au demeurant très mesurées, permet à ces néo-bonnes consciences de continuer d’occuper le terrain médiatique, de revendiquer une sorte de monopole du cœur et de la raison tout en veillant au grain en s’opposant à ce que des sanctions soient prises par les pays occidentaux – comme, par exemple, l’arrêt des livraisons d’armes. En réalité, leurs larmes, qu’elles soient sincères ou de sauriens, ne gênent en rien Israël qui, jour après jour, continue d’avoir le temps d’agir.
(1) « Gaza/Israël : Aimer (vraiment) son prochain, ne plus se taire », 8 mai 2025, tenoua.org
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lundi 17 mars 2025

Hommage à mes parents

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Fadhila Ayari (14 juillet 1940 – 4 décembre 2024)
Mohammed Belkaïd (15 février 1939 – 8 mars 2025)

Mes parents, paix à leurs âmes, se sont mariés en 1963 à Tunis.
La vie, l’usure du temps, les aléas ont fait diverger leurs routes.
Aujourd’hui, il me plaît d’imaginer qu’une partie de scrabble les réunit, l’une de ces joutes (avec revanche, belle et consolante) qui nous captivaient et nous inquiétaient à la perspective de l’inévitable mauvaise humeur du perdant.
Ma mère aimait Saliha, Ismahane, Jacques Douai, Gérard Philipe, la littérature, les livres, les mouwachahat, The Platters, la Palestine et les Palestiniens, son père – homme attaché à sa terre du Tell tunisien-, ses élèves, bons ou mauvais, les mosaïques d’Essers, sa ville natale, et les chevaux. Elle détestait corriger les copies.
Mon père aimait Ténès, sa ville natale, la langue arabe, la linguistique, les Cadets de la Révolution, les déclinaisons latines, la socio de Bourdieu, Fausto Coppi (et Gino Bartali), Audrey Hepburn et Taha Hussein, le cinéma en général, les anacroisés, les chansons potaches du lycée de Ben Aknoun, les Mu'allaqāt, Ahmed Wehbi, Jean Ferrat et Charles Aznavour. Il détestait corriger les copies.
Tous les deux ont appartenu à une génération exceptionnelle de femmes et d’hommes. Celle qui a eu l’immense charge de prendre les choses en main à l’indépendance. Un seul mot d’ordre : bâtir un pays. Il leur fallait éduquer, transmettre, organiser, imaginer, former des cadres, créer des institutions et des infrastructures. Construire. On n’imagine pas ce que cette génération de patriotes a affronté comme défis en partant de rien ou presque. Gardons cela à l’esprit en espérant vivre le jour où il sera temps de refonder notre pays, qu’il s’agisse de l’Algérie ou la Tunisie.
L’absence de mes parents est un abysse mais ainsi va la vie.
Il n’y a pas d’âge pour entrer dans la vaste confrérie silencieuse des orphelins. (*)
Nous sommes à Dieu et à Lui nous revenons.

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(*) Merci à Katya Berger et à Arezki Metref d’avoir inspiré cette phrase.

jeudi 12 décembre 2024

Treize ans dans les prisons syriennes

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Syrie.
Pour qui voulait savoir, il était possible de savoir.
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Récit d'une captivité dans les geôles d'Assad par Aram Karabet (2009).
« Qu’on s’imagine être attaché par un de ces monstres [les gardiens], et rossé jusqu’à ce qu’il se rassasie. Ces geôliers étaient de simples conscrits, pas des soldats de métier. Ils faisaient leur service militaire et n’avaient pas plus de dix-huit ou vingt ans. Quelle agressivité déchaînée, dépourvue de tout motif, peut bien habiter le cœur d’un jeune homme de cet âge, pour qu’il en vienne à souhaiter fouetter un prisonnier qu’il ne connaît pas, qu’il n’a jamais vu de sa vie ?
« Telle est la relation, dans mon pays, entre le bourreau et la victime. L’un a des bottes cirées, l’autre a la tête baissée. C’est ainsi que nos peuples et nos pays ont été dénaturés. Cette forme de relation est un indice de mépris réciproque que se vouent le pouvoir et la société. Que personne, quel qu’il soit, ne s’imagine échapper à cette équation, même s’il est confortablement assis chez lui. Quoi qu’on fasse pour se persuader qu’on est en sécurité, chacun d’entre nous est à leur merci.
« Le bourreau méprise sa victime afin de compenser son sentiment d’infériorité, sa situation obscure, son déshonneur. Son dédain est une conséquence du mépris qu’il éprouve pour lui-même et pour sa basse origine. Le bourreau est un homme de rien, autant dans sa « constitution » psychologique et morale, que dans son éducation et la vie qu’il mène. L’arrivée au pouvoir d’hommes d’une pareille trempe ne change en rien leur nature. Au contraire, la pratique du pouvoir ôte le voile derrière lequel ils se cachaient, révélant toujours leur bassesse.
« C’est pourquoi le pouvoir en Syrie s’efforce toujours à l’extérieur de paraître civilisé dans le moindre de ses gestes. Ainsi espère-t-il faire oublier ses viles origines.
Aram Karabet,
in « Treize ans dans les prisons syriennes. Voyage vers l’inconnu ».
Récit traduit de l’arabe (Syrie) par Nathalie Bontemps, Actes Sud, janvier 2013, 223 pages, 20 euros.
Titre original : « Al-Rahîl ilâ l-majhûl », Dâr Jidâr, Alexandrie, 2009.
 

 

 

mardi 3 décembre 2024

Liberté pour Boualem Sansal

 

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Commençons par l’essentiel. L’indiscutable. Boualem Sansal n’a rien à faire en prison et j’en appelle ici aux autorités algériennes les plus hautes pour qu’il soit libéré et qu’il puisse aller où qu’il aille. On n’embastille pas un écrivain – ou tout autre citoyen anonyme – pour ce qu’il a pu dire, penser ou écrire. On ne devrait traduire personne en justice pour des opinions fussent-elles déplorables, déplaisantes, outrancières ou transgressives. L’opinion n’est pas un acte. Et c’est encore moins un délit. Quelqu’un qui bastonne sa femme, dans la rue ou à la maison, est un délinquant qui mérite d’être poursuivi et châtié. Quelqu’un qui affirme que la terre natale de l’émir Abdelkader n’est pas algérienne n’est rien d’autre qu’un ignare. Ou un provocateur en mal de publicité éditoriale ce qui, pour autant, ne vaut pas viatique pour la geôle.
Dans une Algérie idéale, Sansal serait rentré dans son pays, sans encombre ni représailles. Des journalistes de la chaîne III, profitant d’une totale liberté éditoriale, l’auraient invité pour qu’il s’explique sur ses récentes déclarations et là, n’importe quel contradicteur l’aurait ridiculisé, lui et son propos incohérent. L’Algérie existe. Elle est indépendante depuis juillet 1962. De quoi pourrait-elle avoir peur ? Que les élucubrations de Sansal poussent le conseil de sécurité de l’Onu à annuler la résolution 176 du 4 octobre 1962 ? Soyons sérieux…
Beaucoup a été dit et écrit sur la stratégie de cet écrivain et d’autres de (bien) profiter des souffles qui empestent la France. Comme un bon marin, les opportunistes savent discerner le bon vent à prendre. Aujourd’hui, c’est celui de la réaction et de l’islamophobie. Je n’ai pas l’intention d’insister là-dessus. Cela fait des années que le phénomène existe. Nous savons tous quoi penser de ces écrits et propos qui n’existent que pour tirer avantage d’un certain état d’esprit méprisant pour ne pas dire raciste. Insulter l’Algérie (et les Algériens) tout comme faire mine d’ignorer qu’un génocide se déroule à Gaza peut rapporter moult distinctions. Chacun sa conscience.
Le plus important, à mon sens, est juste de réclamer la libération de Sansal. Ce qui ne veut pas dire qu’on partage ses idées. Ce qui ne veut pas dire que l’on est obligé de signer des pétitions où figurent des noms de personnes pour lesquelles on n’a ni respect ni considération. Car ces gens sont comparables à une montre cassée. Elle a raison deux fois par jour mais pour le reste... Sansal a les amis et admirateurs qu’il mérite. Qu’il les rejoigne au plus vite. Libre.

jeudi 5 janvier 2023

Godo, Houellebecq et le « débat fructueux »

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Tout va bien, jeudi 5 janvier 2023

Akram Belkaïd, Paris.


Dans une chronique publiée par La Croix (4 janvier 2023), l’écrivain Emmanuel Godo prend la défense de Michel Houellebecq et dénonce la décision de la Mosquée de Paris de poursuivre en justice l’auteur d’Anéantir pour « provocation à la haine contre les musulmans ». « Même dans ses excès ou dans les désaccords de fond que nous avons avec lui, il est toujours fructueux de regarder du côté de ses questions », écrit ainsi Godo. Fructueux ? J’imagine alors que l’on va bientôt nous expliquer qu’il aurait été (qu’il serait encore) fructueux de regarder du côté des questions abordées par des auteurs tels Charles Maurras ou Robert Brasillach…. « Le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, c’est qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien autre solution, qu’ils s’en aillent », voilà ce qu’affirme Houellebecq. On imagine quel serait le débat « fructueux » à propos de cette déclaration nauséabonde. 

Entendons-nous bien, on peut – et c’est ce que je pense – déplorer l’initiative de la Mosquée de Paris d’attaquer en justice un écrivain, quelles que soient ses idées. Cela ne devrait pas être de son ressort et nombre de musulmans de France n’ont certainement pas envie que cette institution prétende parler en leur nom. Michel Houellebecq peut écrire ce qu’il a envie d’écrire et l’on n’est pas obligé de le lire et encore moins de lui offrir l’occasion de se parer des habits de l’auteur opprimé. Mais il y a une différence entre défendre la liberté d’expression et donner du crédit à de tels propos.

« Porter plainte contre un écrivain de la trempe (sic) de Houellebecq est une forme d’aveu » affirme Godo qui ajoute plus loin : « Dans un pays qui a vu tomber sous les balles de fanatiques islamistes des dessinateurs joyeusement impertinents, décapiter un professeur de la République, museler dans l’autocensure une part considérable de son intelligentsia, un écrivain a le droit de dire haut et fort son pessimisme, ses rages, ses inquiétudes face à la montée de l’intolérance et de la tartufferie. Ceux qui l’accusent de jouer au pyromane ont à se demander quelle conception des libertés publiques ils défendent au juste. »

Le message d’Emmanuel Godo est sans équivoque. Les violences terroristes subies par la France et sa population imposent aux musulmans de la fermer et de faire profil bas quelles que soient les insultes et les mises en causes subies. On peut les agonir d’injures et, pire encore, les essentialiser en les mettant tous dans le même sac d’infamie, leur seul droit est le silence et la contrition.  Cela en dit long sur l’installation définitive de l’islamophobie dans la vie intellectuelle française.

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lundi 5 septembre 2022

Parution : Du football, dans le monde arabe

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parution : "le jeu rebelle : le pouvoir du football au moyen-orient et la coupe du monde au qatar".
avec un article de mich-selbst (mézigue) : "la passion du jeu : football, politique et contestation au maghreb" - traduit du français à l'allemand.




jeudi 14 avril 2022

Loi de Murphy et élections

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Contrairement à une idée répandue en France, la loi de Murphy ne signifie pas vraiment "loi de l'emmerdement maximum", définition qui laisse entendre que les problèmes se répéteront en série. Sa véritable définition est :  si quelque chose doit mal tourner, c'est ce qui se passera.

En aéronautique, c'est l'une des premières choses que l'on apprend, qu'il s'agisse de la conception ou de la maintenance. Si vous concevez un ensemble où des pièces pourraient être montées de manière incorrecte, elles le seront. 

Si vous organisez (mal) votre atelier de manière à ce que des techniciens se trompent d'outils, ils se tromperont.

Et en matière électorale ?

S'il y a une chance pour que les choses se passent mal, se passeront-elles mal ?


lundi 28 mars 2022

"L'Algérie, espace et société" (archive)

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Note de lecture à propos de l'ouvrage "L'Algérie, espace et société"
de Marc Cote dont on vient d'apprendre le décès.

L’Algérie, espace et société
Marc Cote

par Akram Belkaïd
Le Monde diplomatique, août 1996

Marc Cote, géographe, a enseigné durant vingt-cinq ans à l’université de Constantine, et son ouvrage, riche en cartes géographiques et données chiffrées, se propose de « décrypter la réalité algérienne » à travers l’interface société-espace. On y lira avec attention la partie consacrée à « l’Algérie des campagnes » avec, à la clé, une intéressante analyse sur la situation de l’agriculture où l’auteur met en relief la nécessité d’« une révolution agricole », le pays n’atteignant plus que 30 % d’autosuffisance alimentaire. Autre impératif de sécurité, celui qui concerne « l’Algérie des villes » et leurs ressources hydrauliques. A la différence du domaine alimentaire où le pays ne peut que réduire sa dépendance extérieure, il lui est possible de couvrir tous ses besoins hydrauliques à la condition d’achever son programme de barrages à l’horizon 2025. Mais l’un des intérêts majeurs de ce livre est de fournir un outil sérieux et scientifique pour comprendre une partie des mécanismes qui ont conduit à la crise actuelle tout en replaçant cette dernière dans un contexte socio-historique et géographique qui la relativise. Si les Algériens « se sentent mal dans leur espace », leur pays, « qui a 2000 ans d’histoire derrière lui », n’en a pas moins les moyens de surmonter ses difficultés.

Éditions Masson-Armand Collin, Paris, 1996, 253 pages, 130 F.

mercredi 2 mars 2022

Le pas de côté : Non au campisme

Par Akram Belkaïd

Paris, mercredi 2 mars 2022

 

L’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes déclenche un peu partout passions et divisions. Dans ce genre de situation, les adeptes du campisme – autrement dit ceux qui multiplient les injonctions à choisir son camp – entretiennent la confusion et poussent à la surenchère et à la radicalisation des positions. Les uns condamnent Poutine et vont jusqu’à exiger un conflit armé avec la Russie. Les autres rappellent, à juste-titre, que d’autres pays ont envahi ou annexé des territoires qui ne leur appartiennent pas et que cela ne déclenche pas les mêmes réactions indignées.

 

Que faire ? 

 

Comme pour toute crise majeure, l’unique boussole devrait être le respect du droit international et de la Charte des Nations Unies. Qu’importe la nature des régimes concernés et qu’importe le passif des uns ou des autres. Je m’explique. En 1990, l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein a provoqué une situation comparable à celle que nous vivons aujourd’hui. Il s’agissait alors d’une agression contraire au droit international puisque Bagdad entendait annexer un pays souverain reconnu par la communauté internationale. Arguant de la nature détestable de la monarchie koweitienne, nombreux furent ceux qui y trouvèrent argument pour ne pas condamner l’attaque irakienne. Or, cette condamnation était nécessaire et légitime. En attendant que l’humanité trouve mieux, la règle est simple : on n’attaque pas son voisin, on ne l’envahit pas et, surtout, on ne l’annexe pas. Le respect des frontières est la clef de voûte de la paix dans le monde.

 

Cela vaut pour ce qui se passe en Ukraine. La condamnation de l’attaque russe doit être sans équivoque et même, s’il le faut, sans passion aucune. Le droit international est trop précieux pour être séquencé ou relativisé. Et c’est cette condamnation qui donne du crédit à la position non-campiste que l’on est en droit de défendre. Condamnation ne veut pas dire naïveté ou complicité avec l’Occident. Oui, la Russie a des griefs légitimes à l’encontre de l’Occident et plus particulièrement des États-Unis. Oui, la promesse faite à Mikhaïl Gorbatchev de ne pas étendre à l’est les forces de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) n’a pas été respectée. Oui, la mise en garde vindicative de Vladimir Poutine contre l’unilatéralisme américain lancée en février 2007 lors de la Conférence sur la politique de sécurité n’a pas été prise au sérieux ou, pire, elle a été méprisée. Tous ces arguments sont recevables pour réclamer des négociations pour la paix mais ils n’excusent pas l’attaque de l’Ukraine et la mort de civils.

 

Personne ne niera que le droit international n’est pas toujours respecté par les pays qui le brandissent aujourd’hui afin de sanctionner la Russie. En 1991, il fut mis en avant pour « libérer » le Koweït alors que, dans le même temps, il continuait d’être violé par Israël qui, aujourd’hui encore, continue d’occuper – et de coloniser - des Territoires palestiniens qui ne lui appartiennent pas sans oublier l’annexion illégale du plateau du Golan syrien. Dans les deux cas, Israël foule aux pieds plusieurs résolutions des Nations Unies et cela décrédibilise les discours occidentaux à l’encontre de la Russie. Nous en avons l’habitude : droit international en faveur des uns mais pas des autres… C’est bien pour cela que la condamnation de l’invasion russe est nécessaire. Elle relève d’une cohérence de position. Si nous revendiquons le droit des Palestiniens à être libres et à bénéficier des résolutions de l’ONU, nous ne pouvons pas décider de regarder ailleurs en ce qui concerne l’Ukraine. Le message à l’égard de l’Amérique et de l’Union européenne est simple : Nous condamnons comme vous cette invasion mais nous ne sommes pas dupes quant à vos principes à géométrie variable. Et en cela, nous ne sommes pas dans le même camp.

 

Cela amène, pour finir, à la remarque suivante. Oui, il est toujours désagréable d’avoir la sensation d’être dans le même bateau que les BHL et autres néo-conservateurs qui s’étaient déjà illustrés en 2003 en soutenant l’agression anglo-américaine contre l’Irak. Ces gens sont des clowns dangereux dont la posture belliciste a déjà fait beaucoup de dégâts. Rappelons donc la formule d’usage qui sied à ce genre de situation : une montre cassée donne tout de même l’heure exacte deux fois par jour. Condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce n’est pas être dans le même camp que BHL et compagnie. C’est juste une coïncidence, surtout si on rappelle à cette camarilla ses silences et compromissions à propos de la Palestine. 

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mercredi 26 janvier 2022

Manière de voir : Le Maghreb en danger...

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Manière de voir n°181, février-mars 2022
Une soixantaine d'années après leur indépendance, les pays du Maghreb demeurent désunis et peinent à bâtir entre eux une union quelconque. La région qui fait face à des défis gigantesques - sociaux, climatiques, sécuritaires et migratoires - est de surcroît pénalisée par l'hostilité entre l'Algérie et le Maroc.
Disponible en kiosques et sur notre boutique en ligne

Désunion et autoritarisme ///// Akram Belkaïd 

Regard

Une certaine idée du Maghreb  ///// Amin Khan 

Le Maghreb central ///// Cécile Marin 

I. Différends et déceptions

Au coeur du combat anticolonial, la promesse d'un Maghreb uni cimentait les discours des nationalistes algériens, marocains et tunisiens. Un seul peuple, une culture et des langues communes sans oublier une même religion permettaient d'espérer une intégration régionale aisée. Las, au lendemain des indépendances, les contentieux frontaliers et les rivalités politiques se chargent de briser le rêve unitaire.

Un long chemin vers la liberté ///// Kateb Yacine

La « guerre des sables »///// Lyes Si Zoubir 

1963, point de bascule ///// Philippe Herreman 

Les frontières, facteur de conflits ///// P. H. 

Parfum d'intégration économique ///// Bruno Étienne 

« Une paix permanente pour les siècles à venir » ///// A. B. 

De timides retrouvailles  ///// Habib El-Malki  

Naissance d'une union

II. Ébullitions

Plus de six décennies après les indépendances, les pouvoirs maghrébins semblent ignorer les revendications politiques et identitaires de leurs peuples. La révolution tunisienne de 2011 puis le Hirak de 2017 au Maroc et celui de 2019 en Algérie ont pourtant démontré  que l'espérance démocratique reste forte. Les rares acquis demeurant fragiles, la contestation n'est pas près de disparaître.

Les obstacles à l'émancipation démocratique ///// Hicham Alaoui 

Des journalistes sous pression ///// Pierre Puchot 

Les gérontocrates et le dilettante ///// A. B. 

Soudain, le Hirak ///// Arezki Metref 

Quand le Rif défie l'État profond ///// Aboubakr Jamaï 

En Tunisie, la colère gronde toujours ///// Olfa Lamloum 

Inépuisable affirmation berbère ///// A. M. 

III. Lignes de fracture

Chacun pour soi et qu'importent les projets d'intégration régionale : telle semble  être la devise des pouvoirs maghrébins. Principal obstacle   une union, fût-elle modeste, le contentieux algéro-marocain ne cesse de s'aggraver, au point d'empêcher Alger, Rabat et Tunis d'agir de manière concertée face à la crise libyenne. Le rapprochement entre le royaume et Israël complique une situation déjà tendue.

Le fardeau du « non-Maghreb » ///// Francis Ghilès 

Impuissance maghrébine en Libye ///// Adlene Mohammedi 

Israël, source de déstabilisation régionale ///// Olivier Pironet 

La tension s'aggrave entre Alger et Rabat ///// Lakhdar Benchiba et Omar-Lotfi Lahlou 

Consensus marocain sur le Sahara ///// Réda Zaïreg 

La désertification s'étend ///// Pierre Rognon 

Mise à mal de la neutralité tunisienne///// Thierry Brésillon 

Couscous, les graines de la discorde  ///// A. B. 

IV. Une région face au monde

Entité  homogène sur les plans démographique, culturel et religieux, le Maghreb doit sans cesse redéfinir ses rapports avec ses voisins. Les liens avec le monde arabe et des projets d'union plus ou moins solides ont souvent constitué des obstacles à sa propre intégration. L'Europe s'avère incapable de lui proposer un partenariat ambitieux quand, dans le même temps, la Chine avance ses pions.

Une frénésie d'unions ///// Paul Balta 

Offensive stratégique de la Chine ///// Adel Abdel Ghafar et Anna Jacobs 

Exercice d'équilibriste pour Madrid ///// Thierry Maliniak 


 

Allez les Lions !

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Pour mémoire, et avant le match Maroc-Égypte, voici le message écrit par une personnalité française à ses amis algériens après le match Algérie-Egypte du 18 novembre 2009 à Khartoum (Oum Dourman) :
« Je suis à Casablanca. Je suis tranquille en train de travailler. Une immense clameur surgit de la ville. Inquiet je téléphone à un ami. Il me dit l'Algérie vient de marquer un but. Je continue, tranquille. Une heure après les voitures hurlent dans toutes les avenues. Je téléphone à un ami. Il me dit « Nous avons gagné ». Je lui dis «qui ?». Il me dit « ben, l'Algérie ! » »
Et cette personnalité de conclure : « Le Maghreb existe enfin, je l'ai vu et entendu ».
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jeudi 30 décembre 2021

La chronique du blédard : La huit-cent-cinquantième : Merci et au-revoir !

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Le Quotidien d’Oran, Jeudi 30 décembre 2021

Akram Belkaïd, Paris

 

 

Amies lectrices, amis lecteurs, copains d’Alger et de Montréal, cousins et parents de Ténès et de partout ailleurs, bienveillantes lectrices, bienveillants lecteurs de La Marsa, Portland, Vienne, Genève, Mascate et Barize, cher lectorat toujours indulgent mais aussi chers contempteurs et chères contemptrices d’ici et de là-bas : même les meilleures plaisanteries ont une fin. Cette chronique est donc la dernière du genre. Si, si, il faut bien clore l’aventure pour en préparer d’autres. Ici se ferme donc le crochet ouvert en avril 2005. Depuis cette date, huit-cent-cinquante (850) textes se sont succédés de manière quasi-ininterrompue, exception faite des non-parutions du présent journal pour cause de jours fériés. Pas de quoi entrer dans le Guiness mais tout de même ! Faites claquer paumes et phalanges, champagne pour tout le monde et lben fermenté pour les autres. Huit-cent-cinquante textes… Soit l’équivalent, au doigt mouillé, de cinq millions de signes (espaces compris pour celles et ceux qui n’ont pas encore compris la règle) ou encore de deux mille-cinq-cents (2 500) pages d’un ouvrage standard. Voilà pour les considérations arithmétiques (ajoutons à cela les six-cent-neuf chroniques économiques qui se sont succédées de janvier 2008 à la semaine dernière et qui, elles aussi, s’achèvent).

 

J’aimerais ici remercier la direction du Quotidien d’Oran qui a offert l’hospitalité de ses colonnes à une chronique totalement libre, sans aucun thème ni sujet imposé. Une chronique qui lui a parfois attiré quelques appels, courriers et soucis en créant ici et là des turbulences et des frémissements de moustaches wanetoutristes. Cela a d’ailleurs commencé dès le début avec une réflexion, maladroite, je le reconnais aujourd’hui, à propos des « beurs » et des « blédards » qui me vaut, aujourd’hui encore, quelques inimitiés dont celle d’un brobro ami d’une ex-copine à Sarko. Mais c’est la règle du jeu et celle de notre métier : si des gens ne sont pas contents de ce que l’on a écrit, c’est que l’on a fait son travail. Faire enrager les officiels, les communiquants et leurs obligés, les porte-parole des institutions et leurs relais : voici une bonne feuille de route. De toutes les chroniques qui se sont succédées, il en est ainsi dont on me parle encore notamment celles qui provoquèrent les ires respectives d’un consul d’Algérie en France, d’un écrivain algérien en mal de prix littéraire, d’un ministre français des affaires étrangères, etc. Les textes sarcastiques, ou les « monologues » ont aussi leurs afficionados sans oublier les quelques incursions dans le monde de la poésie et de la fiction.

 

Cette chronique a pu cheminer durant des années sans jamais souffrir de la moindre censure et encore moins d’autocensure. C’est peut-être ce qui explique sa longévité et le plaisir que j’ai eu à me remettre chaque semaine à la tâche. Quel que soit le contexte, quels que soient le lieu ou les circonstances, il me fallait penser à « la » chronique, l’écrire (souvent le dimanche ou le mardi) et, parfois, me démener pour trouver le moyen de l’envoyer en temps et en heure (souvenir d’un texte envoyé à la dernière minute d’un improbable cybercafé dans un petit village du Sinaï écrasé par la chaleur). Anticiper un sujet, en noter un autre, avoir toujours en tête qu’il y a une chronique qui attend d’être rédigée, se dire chaque semaine que l’on serait avisé d’en avoir quelques-unes au marbre (ou au frigo) mais travailler presque toujours en flux tendu (le dos au mur : la pire et la meilleure des méthodes…). Mes semaines ont souvent commencé le mercredi à midi, une fois la chronique bouclée et envoyée, avec cette sensation de soulagement temporaire car, dès le dimanche, l’ampoule rouge se remettait  à clignoter.

 

J’en relis souvent certaines – celles liées à la contemplation de scènes qui pourraient paraître banales – et j’avoue en redécouvrir d’autres dont j’ai complètement oublié le thème et le contenu. Un journaliste ne peut pas traiter tous les sujets qu’il a en tête. Il lui faut faire des choix mais, règle essentielle, il doit garder l’illusion qu’il peut tout écrire et tout aborder. Si tel n’est pas le cas, le plaisir s’étiole et la mauvaise conscience s’installe. Des textes et des chroniques, j’espère qu’il y en aura encore d’autres. Dans mon blog, sur ma page Facebook, ou ailleurs. Merci donc à toutes et à tous. Roulement de tambour, zoom et plan fixe mais au lieu de lancer le fameux « au-revoir » avant de me lever et de tourner le dos, je lance un « qiw ! » bien sonore et vous dit à bientôt.

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jeudi 23 décembre 2021

[Plus de trois cent prisonniers d’opinion] La chronique du blédard : Nos joies amères

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Jeudi 23 décembre 2021

Akram Belkaïd, Paris

 

One, two, three, on a gagné et la vie est belle… 

La formule consacrée affirme que le football est l’opium des peuples. On peut aussi reprendre l’expression romaine « panem et circences » (du pain et des jeux du cirque) en l’adaptant : « panem et pila ludum pedites »(du pain et du football) [NDC, que le distingué latiniste me pardonne cette traduction approximative]. Du football donc, il en a été beaucoup question ces derniers jours avec la victoire de l’équipe A’ de l’Algérie à la Coupe arabe des nations disputée au Qatar.

 

Les lecteurs réguliers de cette chronique savent que son auteur est un passionné de ballon rond, aussi aurais-je du mal à feindre l’indifférence. Une victoire et une ligne supplémentaire dans un palmarès, somme toute bien maigrichon si on le compare à celui de l’Égypte ou du Nigeria (*), sont toujours bonnes à prendre. Mais de là à se comporter comme si nous avions remporté la Coupe du monde, il y a un immense pas que beaucoup ont franchi. On me dira que les manifestations de joie qui ont suivi le but de Brahimi contre la Tunisie et la remise de la coupe aux Verts (de grâce, cessez de les appeler « Fennecs ») sont le signe d’une triste époque. De celles où les occasions d’être heureux ne sont pas très nombreuses pour ne pas dire inexistantes. Conclusion, tout est bon pour se défouler un peu. D’accord, mais dans ce genre de joie, il y a une forme d’indécence qui pose problème.

 

Le football est une passion algérienne. Je crois même que les jeunes générations sont encore plus mordues que leurs aînées, du moins en ce qui concerne les manifestations d’enthousiasme comme celles auxquelles nous avons assisté dans le centre-ville d’Alger au moment de la parade des joueurs dans leur bus à impériale. Les chants, les cris, l’éclat des fumigènes, les lumières des milliers de téléphones portables filmant la scène donnaient à cette froide nuit de décembre un goût de juillet. Certes, ce n’était pas l’impressionnant feu d’artifice tiré la veille à Doha mais cela en imposait.

 

Mais il était impossible de ne pas se faire la remarque suivante : il y a deux ans, nos journaux titraient « marée humaine pour exiger le changement en Algérie ». Aujourd'hui, cette marée humaine célèbre une équipe vaillante mais la régression est là. Il est d’ailleurs symbolique que les images télévisées de cette liesse aient été aussi lugubres, comme si un filtre rappelant à la réalité s’imposait coûte que coûte. Le wanetoutrismefootballistique aura donc remplacé le Hirak interdit. Pour rester optimiste, on dira que ceci n’empêchera pas cela. Que la passion autour du sport précède et cristallise les contestations politiques, que cela fut vrai en février 2019, le Hirak s’étant annoncé dans les stades et dans les virages des ultras. Mais tout de même… 

 

L’évidente récupération de la victoire par les autorités du pays est manifeste. On pourra faire le parallèle avec le passé et se demander si Houari Boumediene aurait accepté de poser (de poser, pas de recevoir) avec les joueurs ayant remporté la médaille d’or aux Jeux méditerranéens de 1975. Les temps sont ce qu’ils sont et les statures d’antan sont peut-être démodées… Oui, je sais, il ne faut pas être naïfs. Tous les pouvoirs politiques, où que l’on soit, en France comme en Chine ou aux États-Unis, n’hésitent pas à récupérer une victoire sportive. Mais il me paraît évident que certains en ont manifestement un besoin plus pressant que d’autres…

 

Il ne s’agit pas ici de dire qu’il faudrait se priver d’être heureux parce que son équipe nationale a remporté une compétition au grand dam de ressortissants du Golfe. C’est d’autant plus vrai que ces « cousins arabes » sont d’autant plus enclins à nous détester que nous ne nous gênons pas pour afficher notre soutien aux Palestiniens quand leurs dirigeants préfèrent désormais les boîtes de nuit de Tel Aviv. Mais gardons les pieds sur terre. Le football n’arrange en rien la situation du pays. Une fois les clameurs tues, il reste la réalité. Et, sans parler de la situation économique et sociale, cette réalité est sordide : plusieurs centaines de nos compatriotes sont injustement détenus ou poursuivis parce qu’ils n’ont fait qu’exprimer une opinion ou parce qu’ils militent pour une vraie Algérie nouvelle, plus démocratique et plus libre. 

 

Samedi et dimanche soirs, alors que me parvenaient les images d’euphorie, j’ai pensé à ces femmes et à ces hommes. Qu’ont-ils pensé en entendant les clameurs de la rue ? Ont-ils reçu des messages de solidarité leur affirmant qu’ils n’étaient pas seuls ? One-two-three ou pas, tant qu’ils ne seront pas libres, nos joies auront un goût d’inachevé. Un sale goût d’amertume et d’échec. Et la coupe la plus dorée ne doit pas nous faire oublier ces prisonniers qui n’ont pour seule faiblesse que le fait d’aimer leur pays.

 

(*) 7 Coupes d’Afrique des nations et une Coupe arabe pour l’Égypte, 1 médaille d’or aux Jeux olympiques et 3 Coupes d’Afrique des nations pour le Nigeria.

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