Le Quotidien d’Oran, jeudi 26 avril 2018
Akram Belkaïd, Paris
Mardi soir, dans les tribunes de l’Anfield stadium, et alors
que quelques dizaines de supporters de l’AS Roma s’illustraient en poussant des
cris de singe à l’adresse d’un joueur sénégalais, les fans du Liverpool FC
entonnaient leur chant, désormais habituel, en l’honneur de l’Egyptien Mohamed
Salah, auteur de deux buts et autant de passes décisives : « If he scores another few, then I’ll
be muslim too (…) Sitting in a mosque, that’s where I wanna be » soit,
en traduisant, « s’il marque encore
quelques buts, alors je serai aussi musulman (…) Assis dans une mosquée, c’est
là où je veux être. » Il est si rare que l’islam soit ainsi à
l’honneur que l’on me pardonnera cette « entame » footballistique à
propos d’un sujet bien plus sérieux.
Car, bien évidemment, il était impossible d’entendre ces
louanges sans penser au « manifeste » publié deux jours plus tôt par
250 (ou 300, le chiffre exact n’est pas clair) signataires d’un texte dénonçant
un « nouvel antisémitisme » musulman [en France] lequel s’appuierait sur des
versets du Coran. Affirmant, entre autres, que cet antisémitisme est
responsable « d’une épuration ethnique à bas bruit », c’est-à-dire le
fait que des familles françaises de confession, ou d’origine, juive
quitteraient leurs quartiers pour en gagner d’autres plus sûrs. On appréciera à
sa juste valeur l’emploi de l’expression « épuration ethnique ».
Voici donc la France ramenée au rang de la Birmanie, du Rwanda ou de l’ex-Yougoslavie.
Le texte est signé par des hommes politiques (dont Manuel
Valls…), des artistes (Carla Bruni…, on est prié de ne pas rire) et quelques
intellectuels médiatiques (parmi lesquels une crapule ayant applaudi à
l’invasion de l’Irak en 2003), mais aussi par quelques valetailles
opportunistes dont l’ineffable « imam » Chalghoumi. Ce document ne se
contente pas de dénoncer ce que les commentateurs qualifient déjà de
« néo-antisémitisme », pour bien faire la différence avec l’autre, le
« vrai » ai-je envie d’écrire, l’européen à qui on doit tant de
drames. Il enjoint aussi à l’islam de faire le ménage dans les Écritures. « En
conséquence, écrivent les signataires, nous
demandons que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des
juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés d’obsolescence par les
autorités théologiques, comme le furent les incohérences de la Bible et
l’antisémite catholique aboli par Vatican II, afin qu’aucun croyant ne puisse
s’appuyer sur un texte sacré pour commettre un crime. Nous attendons de l’islam
de France qu’il ouvre la voie. »
Ce passage dit bien des choses. Il démontre un manque total
de culture religieuse (et l’on se demande bien comment un rabbin a pu signer un
tel texte). L’islam, notamment sunnite, n’a ni clergé ni papauté. Il n’y a pas
de concile d’imams ou d’oulémas capables d’abroger des passages du Coran même
si beaucoup de littérature religieuse existe à propos du naskh (abrogation quand deux versets semblent contradictoires). Les
auteurs du manifeste auraient pu s’en tirer mieux en demandant une relecture
nouvelle ou encore un renouvellement de la pensée islamique via un ijtihad (exégèse) novateur. Rien de cela
n’a été avancé. L’oukase est clair : vous supprimez, point à la ligne.
Ce manifeste est à la fois une provocation et une prise à
partie. Son premier objectif, est d’installer de manière durable l’idée selon
laquelle les musulmans de France sont antisémites ou, dans le meilleur des cas,
complices passifs de cette saleté dont la condamnation tombe pourtant sous le
sens. Cela s’inscrit dans cette stigmatisation récurrente à laquelle il est
difficile de répondre puisqu’il est impossible d’obtenir la même audience et la
même exposition médiatique que les signataires. Télévisions, radios, sites
internet, leur propos comminatoire est omniprésent. Tranquillement, l’idée
s’installe qu’une personne de confession ou de culture musulmane, même si elle
est totalement intégrée, est forcément antisémite. Ah ces musulmans, qui ne
marchent pas contre le terrorisme, qui n’honorent pas la mémoire de Johnny…
Quoi d’autre encore ?
Ce texte a deux autres objectifs. En premier lieu, il
revendique, certes de manière implicite, un droit à l’islamophobie (il daigne
admettre que le racisme anti-arabe est à combattre mais feint d’oublier que
l’islamophobie est souvent le nouveau visage de ce racisme). Agiter la peur, et
l’hostilité, à l’encontre de l’islam est une activité rentable en ces temps
troublés. Cela permet d’exister à l’heure de l’information continue, des
recompositions politiques et de la déliquescence du monde culturel français.
Ah, il fallait voir s’afficher la déception sur les visages de certains experts
du « terrorisme islamique » (sic) sur BFMTV et compagnie après que
l’on a appris que l’assassin de Toronto n’appartient pas à la mouvance
islamique radicale. Un misogyne ? Ah, bon ! Allez, on passe à autre
chose…
En second lieu, il s’agit aussi de faire taire le soutien
aux Palestiniens. En reprenant à son compte l’accusation « antisionisme
égal antisémitisme », ce texte entend mettre les contempteurs de la
politique israélienne sur la défensive. La tactique n’est pas nouvelle mais
elle est efficace. L’accusation infamante d’antisémitisme plane depuis
longtemps sur tous les mouvements pro-palestiniens qui activent en France. La
nouveauté, c’est que pendant longtemps les Français de confession ou de culture
musulmane se sont tenus à distance de cette question, hésitant à s’impliquer
même s’ils n’en pensaient pas moins. Les manifestations contre la guerre à Gaza
en 2014 ont montré que les choses ont changé de ce côté-là. Ce que veulent les
signataires de ce texte, c’est une perpétuation de la mise sous-tutelle de cette
partie de la population française.
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