Le Quotidien d’Oran, jeudi 5 avril 2018
Akram Belkaïd, Paris
Il arrive un moment où vient la sensation que l’on se répète
encore et encore, pour rien, pour pas grand-chose de concret, pour aucun
changement. En somme, une oppression, un à-quoi bon, contre lesquels il est dur
de lutter. Cela vaut pour nombre de sujets d’actualité. La situation politique
et économique en Algérie, la tragédie syrienne ou le drame profond des
Palestiniens. Ce qui vient de se passer à la « frontière » de Gaza,
cette tuerie qui n’est rien d’autre que l’affirmation d’un pouvoir total de vie
et de mort sur une population sans défense, fait réapparaître ce sentiment qui
mêle colère, indignation, amertume et sanglots.
Tuerie gratuite, délibérée, et qui, sur le plan international,
a de fortes chances de rester impunie. Nous le savons tous. Dans la hiérarchie
mondiale, l’Etat israélien occupe une place à part. Comme l’OAS jadis, il
frappe où il veut et quand il le veut, sûr de son bon droit et du soutien
indéfectible des Etats-Unis, première puissance planétaire. Il arrive parfois
que Washington manifeste quelques irritations et laisse passer des résolutions
du Conseil de sécurité de l’ONU sans opposer son véto. La dernière fois,
c’était en décembre 2016 à propos de la condamnation de la colonisation (laquelle
ne s’arrête jamais). Le cadeau d’adieu de Barack Obama à son « ami »
Benyamin Netanyahou… Mais avec Trump, retour à la case du « feu vert
permanent ».
Israël peut aussi compter sur la lâcheté de l’Union
européenne (UE) et de ses membres. Oh, bien sûr, certains d’entre eux ont fait
état de leur « préoccupation ». D’autres, comme la France, ont même
fait preuve de courage intrépide en demandant à Tel Aviv d’agir avec une
« plus grande retenue ». Mais point de sanctions. Pas même l’esquisse
d’une réflexion en ce sens. Suspendre l’accord d’association ? Impensable.
Mettre le frein sur certains accords de coopération technique et
scientifique ? Inenvisageable. Car, après tout, qu’est-ce que la vie d’un
Palestinien ?
C’est le fond du problème. Pour les chancelleries
européennes, les Palestiniens sont des morts en sursis. C’est leur état
naturel. Ils seraient ainsi destinés à subir ce qu’ils subissent. Une gamine de
dix-sept ans emprisonnées, sexuellement harcelée par son interrogateur, cela ne
déclenche guère de protestations. La « communauté internationale »
fait avec… Des jeunes que l’on arrête et que l’on détient sans raison, au nom
d’une disposition qui remonte au protectorat britannique ? Que
voulez-vous, mon bon monsieur, nous n’y pouvons pas grand-chose… Et puis, vous
savez, le poids du passé… Imaginons un seul instant quelles auraient été les
réactions des Européens (ne parlons même pas des Etats-Unis) si les morts
avaient été Israéliens…
En France, dans la hiérarchie de l’information, la tuerie de
Gaza est passée loin derrière la grève des cheminots, la météo incertaine, la
finale de la coupe de la ligue et la chasse aux œufs de Pâques. Rien
d’inhabituel. Nombre de mes confrères ont relevé les « perles » de
cette couverture faussement objective, où le bourreau est toujours présenté de
manière positive tandis que même la supériorité morale de la victime est niée.
« La manifestation a fait seize morts » expliquait une radio
d’information en continu. Règle de base respectée : ne jamais, mais
jamais, désigner Israël comme coupable de quoi que ce soit. L’Etat hébreu se
défend, réplique, riposte, anticipe mais la faute est ailleurs.
Le coupable, c’est la victime. Elle a
forcément tort. Elle a mal voté, elle est extrémiste, elle ne respecte pas sa
propre vie – ou celle de ses enfants. Mais quelle idée était la sienne de
manifester sur son propre sol (du moins, supposé tel) ? Et c’est ainsi qu’est
distillé le message implicite : les Palestiniens, contrairement à ce que
prétend leur Poète, n’aiment guère la vie. Pire, ils sont les responsables de
leurs (mauvais) sort. Autre moyen d’instiller le poison. Evoquer le rôle du
Hamas (pour faire couleur locale, c’est-à-dire israélienne, prononcer Khamas…).
Laisser entendre qu’il aurait sa part de responsabilité, qu’il aurait envoyé
des terroristes (bien appuyer sur les « r », là aussi, pour faire
couleur locale) à la « frontière » ou qu’il aurait délibérément
sacrifié la vie de jeunes gens manipulables à souhait.
Mais revenons à ce terme de frontière. Quel beau moyen de
masquer la réalité. Ce qui sépare l’Etat d’Israël, membre des Nations Unies, et
l’enclave de Gaza, prison à ciel ouvert, sans souveraineté aucune, ni sur son
sol, ni sur les airs ni sur la mer, ce sont des murs, des clôtures, des grillages,
des fossés. Gaza n’est pas un Etat. La Cisjordanie n’est pas un Etat. Il n’y a
pas d’Etat palestinien. Il n’y a pas de face-à-face entre deux pays, ayant
chacun leur souveraineté, leur armée. Il y a un dominant et un dominé. Un
colonisateur et un colonisé, un Etat et des proto-bantoustans.
Soutien indéfectible des Etats-Unis, lâcheté des Européens,
Israël peut aussi compter sur la pusillanimité des pays arabes. « Notre
malheur, c’est aussi le monde arabe » me dit un jour un ami palestinien de
Bethléem. Rien de plus vrai surtout quand on pense à cette brute saoudienne qui,
en ce moment, secoue ses bourrelets et exhibe ses pétrodollars pour convaincre
Israël de faire (à sa place) la guerre à l’Iran. Et voilà ce principicule et
futur roitelet qui nous rappelle à une vérité contemporaine : pour lui et pour
l’engeance à laquelle il appartient, les Palestiniens ne comptent pas.
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