Le Quotidien d’Oran, jeudi 26 septembre 2019
Akram Belkaïd, Paris
Mais quel est ce pays ? Quel est ce pays où la
« justice » interdit à un jeune détenu de sortir de prison, même de manière
momentanée, pour se rendre à une séance de chimiothérapie à l’hôpital. C’est ce
qui vient d’arriver à Ziane Bilel, arrêté le 13 septembre dernier pour avoir
manifesté comme des dizaines de milliers d’Algériens et dont le tribunal a
refusé la mise en liberté. Interdit de soin avant même d’être jugé… Une bien
misérable punition qui donne une étrange définition au mot rahma. « Je sais que je vais mourir » a dit le jeune homme à son
avocate, « mais je ne veux pas mourir en prison. Les jours qui me restent à
vivre, je veux les passer dehors, hors des murs de la prison. » On reste
pantois devant une telle inhumanité à l’égard d’un citoyen. Mais est-on surpris
? Certainement pas. Cette scandaleuse affaire est emblématique de la manière
dont le système, et la justice qui lui reste inféodée, traitent – ont toujours
traité - le peuple algérien. Le mépris abject et la hogra…
C’est cette même hogra que l’on voit sévir
contre les dizaines de prisonniers d’opinions, traités comme de vulgaires
criminels de droit commun alors que leur seul tort a été de manifester et de
faire usage de la supposée liberté d’expression dont sont censés jouir tous les
Algériens. Ce même mépris que l’on retrouvait dans les discours de
l’ex-président Abdelaziz Bouteflika. Ce même mépris qu’affichaient les caciques
du Front de libération nationale (FLN) quand ils étaient au fait de leur
puissance. Je me souviens d’une phrase happée lors d’une conversation entre
enseignants dans les années 1980 : « la manière dont les gens du
Comité central nous regardent en dit long… » Cette manière n’a pas
disparu. Il y a quelque chose de féodal, voire de colonial, dans le rapport
entretenu par les dirigeants algériens avec leur peuple. Les
« décideurs » passent mais ce rapport reste le même. Ce n’est que
lorsqu’ils sont tombés de leur piédestal que les concernés redécouvrent les
vertus du respect des droits de la personne humaine et de la démocratie…
Mais quel est ce pays ? Quel est ce pays où
les hôpitaux n’en finissent pas de s’enfoncer dans la décrépitude et le
délabrement. On reste sans voix, accablé, par la terrible nouvelle de la mort
de huit nourrissons dans l’incendie d’une maternité à Oued Souf. Bien sûr, le
risque zéro n’existe pas. Des drames de ce genre, il en arrive partout y
compris dans les pays les plus développés. Mais tout de même. Impossible de ne
pas penser à l’état calamiteux des hôpitaux algériens, à ces gens, souvent des
démunis, qui ne trouvent ni place en hôpital ni médicaments. Impossible de ne
pas penser à cette réalité connue de tous qui dure depuis des décennies. La
santé, qui représente pourtant le quatrième budget du pays, soigne mal et
protège mal les Algériens. Sauf ceux qui ont le privilège de bénéficier d’une
prise en charge à l’étranger, bien entendu. La santé, avec l’éducation, est le
révélateur du drame algérien, de la désinvolture d’un pouvoir qui se moque de
savoir si le peuple va bien ou pas, qui se moque de savoir si ses politiques
fonctionnent ou pas.
Comme pour l’éducation ou le logement, ce
n’est pas une question de moyens. D’ailleurs, la parole officielle a beau jeu
de mettre en avant les budgets mobilisés pour ces secteurs. Le problème est
donc ailleurs. Dans la mise en œuvre des politiques, dans le suivi, dans
l’évaluation, dans l’organisation, dans le choix des responsables. « Les
gens n’y croient pas. Ils n’y croient plus. La pagaille est généralisée. C’est
à qui ‘tapera’ dans la caisse le plus fort et le plus vite » me dit un
quinquagénaire, ancien haut fonctionnaire dans la santé qui vient d’émigrer au
Québec après avoir suspendu son départ durant plusieurs mois en raison de
l’espérance née du Hirak. Il y croit encore, se promet de vite revenir au pays
« pour aider » mais ne se fait aucune illusion sur la volonté de
changement affichée par le pouvoir actuel.
Mais quel est ce pays ? Quel est ce pays
où l’information de la reprise en force des départs de clandestins et autres
harragas ne fait l’objet d’aucun commentaire officiel. Plus occupé à menacer
les Algériennes et les Algériennes qui ne veulent pas du scrutin du 12 décembre
prochain, le général et chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah ne semble pas
concerné par ce sujet. Idem pour le président post-intérimaire Abdelkader
Bensalah et pour l’ensemble du gouvernement. Comme me le dit un ami, « ils
pourraient au moins faire semblant ». On en revient au mépris. Pour mieux
se disculper, nos dirigeants ont toujours des mots durs à l’encontre des
harragas. Peut-être est-ce parce qu’ils sont la preuve manifeste de leur échec.
Le mouvement populaire du 22 février a créé un
formidable élan d’espérance. N’en déplaise aux génuflecteurs et autres
cachiristes, le peuple tient bon et veut le changement. La certitude, partagée,
est qu’il ne faut pas rater cette opportunité. Un échec, matérialisé par la
reconduction du système, signera un long bail en faveur du système.
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