Le Quotidien d’Oran, jeudi 17 octobre 2019
Akram Belkaïd, Paris
Campagne pour les élections municipales oblige, voilà
que ça repart comme en quarante… Quelles que soient les urgences du moment, le
voile revient au centre des débats politico-médiatiques français. Passons
rapidement sur l’événement qui a provoqué ce nouveau coup de folie. Un élu du
Rassemblement national (ex-Front national) qui exige qu’une maman
accompagnatrice d’une sortie scolaire enlève son voile dans l’enceinte du
Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Les pleurs de l’enfant réfugié
dans les bras de sa mère, le visage figé de cette dernière, les cris de
soutiens en faveur du pseudo défenseur de la laïcité, les protestations
d’autres élus : tout cela a tourné en boucle sur les réseaux.
On l’a écrit à plusieurs reprises dans ces colonnes.
Le voile, est une obsession française qui, pour l’observateur extérieur, relève
de l’irrationnel. Il est très difficile d’avoir une discussion apaisée sur ce
sujet qui charrie tant de non-dits et de postures opportunistes. Car, en
réalité, ce n’est pas du voile dont il est question mais de l’islam et du refus
de sa visibilité. Cela commence à être clairement assumé. Comme lorsque le
ministre français de l’Éducation Jean-Michel Blanquer dit que le voile n’est
pas souhaitable, pas simplement à l’école mais dans la société française. Petit
à petit les ruisseaux de l’islamophobie convergent vers un seul torrent dont il
faut craindre les dégâts.
Le voile, outre les manœuvres politiques dilatoires
(on ne parle plus des questions sociales et économiques), est aussi l’occasion
rêvée de se prétendre féministe. On peut ne rien faire pour la parité en
entreprise, pour l’égalité des salaires, pour la lutte contre les violences
infligées aux femmes, par contre, monsieur Gégé sera toujours prompt à
expliquer que son refus du voile relève de la nécessité de libérer les
musulmanes de l’oppression subie au quotidien. Tu parles…
Dans ce genre de situation, il faut revenir à ce que
disent les textes et se poser les bonnes questions. En premier lieu, est-ce que
le voile est interdit dans l’espace public ? La réponse est non tant que
le visage n’est pas caché et « dans la limite du respect de l’ordre
public ». Autrement dit, une mère voilée qui marche dans la rue ou qui
attend ses enfants devant l’école n’enfreint aucune loi. C’est cela qui pose
problème aux anti-voile. Leur but ? L’interdiction totale pure et simple.
Pas à pas, année après année, la même rengaine, déguisée, enrobée, revient. Ce
camp-là n’aura de cesse d’obtenir des limitations sans cesse accrue au port du
voile en dehors du domicile privé (en attendant les caméras de surveillance
façon Big Brother). Et tant pis si cela constitue une claire limitation à la
liberté d'opinion et de croyance.
Deuxième point, l’école. Depuis 2004, la loi est
claire. Dans les établissements publics (maternelle, collège, lycée), les
« signes religieux ostentatoires », dont le voile, sont interdits. A
l’inverse, les établissements privés, comme par exemple ceux qui relèvent de
l’Église catholique, ne sont pas soumis à cette interdiction. Certains
l’appliquent, d’autres pas. Il n’y a pratiquement plus de débat concernant le
voile à l’école même si, de temps à autre, on voit passer des informations à
propos de bandanas ou de jupes trop longues assimilées à un habit religieux. En
réalité, la vraie bagarre concerne l’université. Pour l’heure, le voile y est
autorisé mais les appels pour l’interdire sont fréquents et il y aura, tôt ou
tard une nouvelle polémique sur le sujet.
L’autre confrontation, on l’a dit en début de
chronique, concerne les accompagnatrices de sorties scolaires. Le voile n’étant
pas interdit dans l’espace public, ces femmes ne sont donc pas obligées de le
retirer. Pourtant un raisonnement spécieux voudrait en faire des agents de
service public occasionnels d’où la nécessité de leur interdire le port du
voile au nom de l’obligation de neutralité. Un autre raisonnement, tout aussi
spécieux, estime que la sortie scolaire est le prolongement de l’école et que
donc les règles qui régissent son fonctionnement sont valables ce qui autoriserait
la prohibition du voile. Mais pour l’heure, la loi est claire. Une sortie
scolaire n’est pas soumise à la loi de 2004. Jean-Michel Blanquer le sait mais
ne craint pas, lui le ministre de la République, de dire qu’il faut contourner
la loi en faisant en sorte que ces accompagnatrices voilées ne puissent pas
participer aux sorties.
Autre terrain glissant, l’entreprise. Pour l’heure, la
loi n’interdit pas le port de signes ostentatoires sauf disposition interne
contraire. Ce flou alimente un nombre croissant de litiges que les tribunaux
doivent trancher. Enfin, ce qu’il faut relever, c’est le débat autour de la
notion de prosélytisme. En effet, si une accompagnatrice qui porte le voile a
un comportement prosélyte, elle peut être interdite de sortie scolaire. Mais
qu’est-ce qu’une attitude prosélyte ? Il y a des cas évidents, comme
lorsqu’une personne tente de manière active de convaincre autrui d’adopter sa
foi. Les adversaires du voile tentent d’accréditer la thèse que le seul fait de
le porter est un acte prosélyte et de militantisme islamiste. On le voit, le
domaine des polémiques potentielles est vaste. Et cela ne concerne pas que le
voile. Demain, ce sera au tour du halal, des prénoms « islamiques »,
de la prière en entreprise ou de la pratique du ramadan.
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