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Le Quotidien d’Oran, jeudi 10 octobre 2019
Akram Belkaïd, Paris
Dans le tumulte actuel auquel est exposée
l’Algérie, deux informations méritent réflexion car elles permettent de balayer
sans peine les péroraisons de ceux qui nous dirigent et de ceux qui
s’agenouillent à leurs pieds. On parle ici de sujets concrets qui doivent
alimenter une réflexion à propos de l’obsession – largement partagée y compris
en dehors du pouvoir – du « complot » qui menacerait le pays. Il
s’agit de la nouvelle loi sur les hydrocarbures et de l’importance des
importations de blé tendre français.
En ce qui concerne les hydrocarbures, le
gouvernement affirme que cette nouvelle loi a pour but d’attirer plus
d’opérateurs étrangers en leur proposant de nouvelles conditions notamment une
réduction du nombre de contrats possibles ainsi qu’une simplification fiscale,
autrement dit la promesse de payer moins d’impôts. Au dire du ministre de
l’énergie Mohamed Arkab, ces conditions « attrayantes »
ont été pensées en concertation avec les « cinq
meilleures compagnies dans le monde » (sic). Pour autant, le monde du
brut ne semble guère impressionné et semble en attendre (exiger) plus.
Depuis la fin des années 1980, l’Algérie
s’éloigne inexorablement de son modèle pétrolier adopté avec la nationalisation
des hydrocarbures du 24 février 1971. Chaque loi, chaque réforme, vise ainsi à
redonner un peu de ce qui avait été enlevé jadis aux compagnies étrangères.
Certes, les réserves de brut et de gaz naturel appartiennent au pays mais le
régime des concessions ou les contrats de partage de production entre la
Sonatrach et des compagnies étrangères sont de bien utiles outils pour
contourner les grands principes de souveraineté et de monopole.
En 1997, Manuel Marín González, alors
vice-président de la Commission européenne, déclarait à un parterre de
journaliste que l’objectif de l’Union européenne (UE) était de convaincre
l’Algérie de privatiser la Sonatrach. Bon an, mal an, cet objectif est toujours
d’actualité car Bruxelles considère que seul un abandon du monopole étatique
algérien sur ses hydrocarbures garantira l’approvisionnement énergétique à long
terme de l’Union européenne. D’autres considérations, plus politiques, étayent
ce souhait notamment l’idée que la privatisation de la Sonatrach sonnerait le
glas des intérêts rentiers qui bloquent la démocratisation de l’Algérie. Cette
opinion trouve un écho favorable aux États-Unis où domine (encore) l’idée que
la démocratie va de pair avec la libéralisation des marchés.
Dans cette confrontation d’intérêts, l’Algérie
ne fait donc pas totalement ce que lui demandent l’Europe et les États-Unis.
Mais elle accepte des concessions de manière régulière. Ceux qui ne cessent de
parler de souveraineté nationale et qui fustigent une pauvre députée française
égarée dans le bouillonnement algérien sont les mêmes qui organisent, dans
l’opacité, des transferts de souveraineté dans des conditions pour le moins
contestables. Car, en effet, de quel droit un gouvernement transitoire, nommé
hier par un président forcé à la démission, peut-il engager le pays sur un
sujet aussi important que les hydrocarbures ? Les Algériens n’ont-ils pas
leur mot à dire sur la question ? Est-il nécessaire de pomper autant de
brut, sachant que, de l’avis même de certains responsables de la Sonatrach, les
grands gisements sont « fatigués » ? Le pétrole et le gaz naturel
sont la propriété du peuple algérien. L’esprit du Hirak commande d’organiser un
débat national sur ce sujet aux ramifications innombrables (gaz de schiste,
énergies renouvelables, nucléaire) avant de trancher. Et ce n’est pas cette
majorité de pantins illettrés qui siègent à l’Assemblée nationale qui est
capable de prendre la mesure des enjeux.
Passons maintenant à la question du blé. Les
statistiques montrent que l’Algérie est le premier client des exportations
françaises de blé tendre. En août 2019, le pays a importé 449 000 tonnes de blé
français soit l’équivalent de 36% du total des ventes françaises. 36%, c’est
beaucoup. Énorme, même. Et cela pose la question, presque jamais abordée, de
l’indépendance alimentaire de l’Algérie. Notre pays, comme l’Égypte, dépend beaucoup
trop des approvisionnements extérieurs en matière d’alimentation de base. On ne
cesse de parler aux Algériens des menaces aux frontières et des agresseurs
tapis dans l’ombre qui n’attendraient qu’une occasion pour agir, mais cette
affaire de dépendance alimentaire est un tabou. Pourquoi ? Le fait que les
intérêts en jeu sont énormes n’est pas étranger à ce silence. Et il y a aussi
le fait qu’il n’est guère imaginable de concéder que le pays est en position de
faiblesse et que sa supposée totale indépendance par rapport à l’extérieur, et
notamment la France, n’est qu’un leurre destiné à échauffer les passions
chauvines.
Face à cette situation il y a deux manières de
réagir. La position wanetoutriste est de considérer que l’Algérie
« tient » la France en étant son principal client pour ce qui
concerne les céréales. Un bon client, dit-on, peut tout se permettre. Oui, sauf
quand ce qu’il achète est vital pour lui. L’autre approche consiste à inverser
le raisonnement en posant trois questions : D’abord, est-il prudent de
dépendre autant d’un seul fournisseur (et quel fournisseur !) ?
Ensuite, existe-t-il des solutions de rechange en cas de rupture (ou de
suspension) de cet approvisionnement ? Enfin, pourquoi l’Algérie
importe-t-elle autant de blé tendre ? Il y a certainement des réponses
rationnelles, voire rassurantes à ces questions. Mais ces dernières doivent
être posées et débattues dans un contexte ouvert et démocratique. Et ce ne sont
pas les obligés et autres clowns qui font acte de candidature pour le scrutin du
12 décembre qui oseront le faire.
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