Le Quotidien d’Oran, jeudi 19 mars 2020
Akram Belkaïd, Paris
Commençons par répéter, et expliciter, un message déjà
partagé sur les réseaux sociaux. Depuis le 22 février 2019, j’ai toujours
soutenu le Hirak, défendant envers et contre tout sa rationalité politique, son
exemplarité et son caractère historique. Et quand des voix défaitistes ont
entonné la ritournelle du déclin et de la nécessité de tendre la main au
pouvoir né de « l’élection » présidentielle du 12 décembre dernier,
j’ai essayé, à mon modeste niveau, de faire entendre la voix de la poursuite de
la mobilisation et du « on ne lâche rien ». Pour autant, en tant que
membre de la diaspora, je ne me suis jamais permis d’émettre la moindre
recommandation, le moindre conseil et encore moins une prescription, qu’elle
soit politique ou pratique.
Depuis quelques jours, après avoir longuement travaillé sur
la question de l’épidémie due au coronavirus Covid-19 – en interrogeant
notamment des membres du corps médical mais aussi des chercheurs, je déroge à
ce principe. Il n’y a plus lieu de tergiverser. Il n’y a pas de nuance ou de
compromis à privilégier : Les marches hebdomadaires, celles du mardi, du
vendredi et même du samedi, doivent absolument être suspendues. C’est une
question de raison et de bon sens. La situation est simple : l’Humanité
fait face à l’agression d’un organisme vivant particulièrement contagieux et
pour lequel il n’existe encore ni traitement curatif ni vaccin. Ce qui s’est
passé en Chine, ce qui se passe en Italie mais aussi désormais en France,
notamment dans l’Est de l’Hexagone, va se répéter en Algérie. Croire que le
pays serait immunisé grâce à je ne sais quelle raison relève de l’ignorance, du
déni ou, pire encore, de l’affabulation dont nos dirigeants sont passés
maîtres. Pour être clair, le wanetoutrisme ne sauvera pas le pays de la
catastrophe !
Chaque jour passé sans prendre de mesures de confinement, de
distanciation sociale (ne pas se rassembler, ne pas se serrer la main, ne pas
s’embrasser) est un temps précieux de gâché. Le présent chroniqueur n’est pas
médecin mais de formation scientifique. Il croit en la science, au progrès et
en la parole des spécialistes. Quand la totalité d’entre eux, notamment des
virologues, affirment que sans réaction vigoureuse de confinement, ce virus a
de quoi anéantir une partie de la population mondiale, il faut les écouter. Je
suis stupéfait de voir, qu’en Algérie, des ânes – pardon pour les baudets –
parlent de choses qu’ils ignorent et que des « confrères »
irresponsables leurs tendent les micros pour qu’ils répandent leurs conneries. Il
y va ainsi de ce hmar qui prétend
avoir trouvé le remède contre le virus. La mythomanie semble, elle aussi,
épidémique. Et comment peut-on affirmer que l’Algérie possède des équipements médicaux
qui n’existent pas en Europe ? Comment peut-on être inconscient à ce
point ? La France, sixième puissance mondiale, pays où nos dirigeants et
leurs proches se soignent pour la plupart, découvre qu’elle manque
d’équipements, de produits et même de soignants. Et l’Algérie ferait
mieux ? Nier le réel, le transformer, est la marque des régimes
autocratiques et des incompétents. Souvent, ils sont les mêmes.
Demander la suspension du Hirak, ce n’est pas le trahir.
C’est reconnaître que dans la vie, il y a des priorités, la première étant la (bonne)
santé des gens. Bien sûr, la colère contre ce système est forte. Bien sûr, nous
sommes tous travaillé au corps par cette tentation jusqu'au-boutiste, nihiliste
diront certains, de faire coûte que coûte tomber ce pouvoir qui ne comprend
rien, qui ne lâche rien, qui ne fait rien (sauf castagner les hirakistes) et
qui ne sortira jamais, je dis bien jamais, l’Algérie de l’ornière. Comme le
note le frangin de Ténès (protégez-vous les gars), il y a de l’esprit suicidaire
des harraga dans cette marche organisée ce mardi 17 mars. Qu’importe le risque,
qu’importe le danger, « corona welle
ntouma » : le corona plutôt que vous ! Dans ce genre de
circonstances, on se rend compte à quel point le pays manque de voix
consensuelles, de voix de la sagesse qui pourraient porter car, on le sait
bien, aucun éditorialiste, aucun chroniqueur, aucun activiste ne semble capable
de faire entendre raison aux protestataires. Le pouvoir a créé le vide
politique et culturel. Le pays en est pénalisé.
Le régime, lui, se frotte les mains à la manière d’un
croque-mort qui sent venir de bonnes affaires. Pour lui seul compte la fin du
Hirak. Ce qu’il ne sait pas, c’est que la colère reviendra et elle sera bien
plus forte. Rendez-vous est pris après la fin de l’épidémie. Ceux qui lui
survivront sauront exiger réparation. Car, autant le dire tout de suite. Il n’y
a rien à attendre du pouvoir. L’épidémie qui vient sera un terrible révélateur
de l’état réel de l’Algérie, la grande « œuvre » de Bouteflika et de
sa camarilla dont certains serviteurs sont encore en poste. Le drame dans
l’affaire, c’est que la population va encore subir les conséquences de
décennies de désinvolture, d’incompétence et de corruption.
_
1 commentaire:
Voilà bientôt deux mois que, devant cette menace planétaire que constitue ce virus je suis inquiet pour tous les habitants africains, du nord au sud, du Maghreb mais surtout de l'Afrique dite noire. Nous avons énormément de chance d'habiter en Europe lorsque de tels fléaux se font jour car, même si le virus n'affiche aucune préférence de type, de genre ou de nationalité, nous avons ici les moyens de le combattre avec des systèmes de santé au top, même s'ils pêchent souvent du fait des politiques mises en place. Dans toute l'Afrique, à part au Cap sans doute, c'est la misère totale ou presque en matière de système de soins. S'ajoute à cela la religion et la croyance qui, comme chacun le sait, s'ils sont des systèmes pratiquent pour gouverner les gens agenouillés, sont aussi des repoussoirs à science, surtout celle qui vient des pays ex-colonisateurs . Je veux croire que les algériens seront pour une fois disciplinés et qu'ils rejetteront les prédicateurs de tous poils au profit des scientifiques . j'ai peur pour ces peuples, vraiment .
Enregistrer un commentaire