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Le Quotidien d’Oran, jeudi 26 août 2020
Akram Belkaïd, Paris
Il y a quelques années, Ahmed Ouyahia, alors chef du gouvernement, avait déclaré avec l’assurance arrogante d’avant-Hirak qu’on lui connaissait, que l’Algérie avait les moyens de tenir seule durant au moins trois années. Autrement dit, le pays pouvait, selon lui, vivre en autarcie sans nul besoin de relations avec l’extérieur. Sans nul besoin d’exporter ou de vendre quoi que ce soit aux étrangers… Ce genre de déclaration est la parfaite illustration de la structure mentale que le pouvoir s’est forgé et qu’il a réussi à diffuser dans la société. A l’époque, je m’étais dit que cela illustrait bien une boutade entendue un jour dans la bouche d’un diplomate occidental. Pour ce connaisseur du Maghreb et de l’espace sahélien, le régime algérien fait partie d’un lot rares de pouvoirs s’estimant capables de dicter leur propre loi à la mondialisation et non l’inverse. En clair, nos dirigeants pensent depuis très longtemps que c’est à la marche du monde de s’adapter à leurs règles. C’est ce genre de délire qui conduit le pays dans les bras du Fonds monétaire international (FMI) et qui ouvre la voie à de vraies ingérences mais cela est une autre histoire.
En réalité, ce n’est que l’un des aspects d’une mentalité plus large où le rapport à l’extérieur est des plus ambigus et demeure un sujet idéal de manipulation. La scandaleuse condamnation de Khaled Drareni et le discours de certaines « élites » justifiant son emprisonnement, le démontrent bien. Depuis des décennies, le peuple algérien est conditionné pour avoir en tête que tout contact avec l’étranger est un acte suspect. Qu’étranger rime avec menace et complot. Je ne parle même pas ici des membres de la diaspora qui, dès lors qu’ils tiennent un discours qui ne cadre pas avec ce que l’on attend d’eux, sont immédiatement rappelés à leur statut de traîtres et de vendus.
Pour bien montrer que l’on n’est pas naïf, on ne répétera jamais assez que tous les États ont pour objectif de d’abord défendre leurs intérêts. Mais on rappellera aussi qu’il fut un temps où l’on célébrait la coopération et le partage entre les peuples. On acceptait l’idée que des pays plus riches, plus développés ou plus puissants, puissent accepter de nous aider sur tous les plans, éducatif, culturel, économique et même économique. On savait, parce qu’il s’agissait de bâtir un pays neuf, que le savoir et l’expertise étaient à prendre à ailleurs et que les « missions à l’étranger », puisque telle était l’expression consacrée, devaient servir à apprendre et à progresser. On se souvenait aussi que la Révolution algérienne avait eu besoin de soutiens extérieurs, qu’ils soient diplomatiques, financiers ou militaires. Les maquis étaient le fer de lance de la guerre d’indépendance mais les envoyés spéciaux du Front de libération nationale (FLN) qui faisaient le siège des capitales et des institutions étrangères pour obtenir un soutien, une reconnaissance officielle ou des armes ont fait aussi leur part du travail auprès d’interlocuteurs amis et bienveillants.
Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où les universitaires doivent demander l’autorisation du ministère avant d’organiser un colloque ou d’inviter des collègues étrangers. Une situation de paranoïa voulue où un billet d’avion payé par un organisme étranger devient une affaire d’État. Je suis sidéré de lire des universitaires ou des journalistes qui trouvent normal que l’on mette en cause quelqu’un parce qu’il a été invité par une institution étrangère et que ses frais de déplacement et d’hébergement ont totalement été pris en charge. C’est pourtant le b.a.-ba de nombre d’échanges internationaux. En des temps normaux, c’est-à-dire hors pandémie de Covid-19, le monde entier n’est qu’un immense ballet de colloques, de conférences et de rencontres en tous genres. Il suffit de lire le délicieux roman Un petit mondede David Lodge pour en prendre la mesure.
On dira, certes, mais il faut veiller à vérifier qui est la « puissance invitante » (expression reprise d’un échange sur les réseaux sociaux). Ici, on s’approche rapidement du complotisme habituel qui veut que certaines organisations, je pense notamment aux think tanks et autres organismes de promotion de la démocratie dite libérale, n’auraient pour vocation que de conspirer contre les régimes établis (comme par hasard, ces régimes ont toujours quelques soucis en matière de respectabilité et de respect des droits de la personne humaine, mais là aussi, c’est une autre affaire). Que des agendas de « soft power » existent dans de tels organismes, c’est une évidence. Qu’ils soient Américains, Français, Russes ou Turcs, ces solutions de financements pour chercheurs ou intellectuels en mal de ressources, ont pour vocation d’œuvrer au renforcement de l’influence de leur pays mais en acceptant les règles du jeu : celui de la liberté d’expression et de création.
Il y a quelques années, c’est dans la grande salle de l’Institut français des relations internationales (IFRI) situé à Paris que j’ai entendu l’une des plus virulentes charges contre la politique étrangère française en Afrique subsaharienne et cela en présence d’officiels du Quai d’Orsay, de conseillers de l’Élysée (c’était à l’époque de la seconde présidence de Jacques Chirac) et de cadres de la compagnie pétrolière Total. Des universitaires sénégalais, ivoiriens, avaient fait le déplacement de leurs pays respectifs pour présenter leurs travaux et leurs analyses mordantes et cela n’avait pu être possible que parce qu’il existait un budget, prélevé sur les versements du contribuable français, pour cela. Oui, mais quel est l’intérêt des Français dans tout cela, demandera-t-on avec méfiance. Evitons le propos grandiloquent et répondons qu’il existe une sorte de consensus paradoxal selon lequel plus on parle et on échange à propos de questions délicates et plus les risques de violence et de rupture s’éloignent.
Le pire dans l’affaire, comme le rappelle très bien l’universitaire Ali Bensaad dans sa récente charge à l’encontre du ministre de la communication (1), c’est que ce qui est permis pour les uns est interdit pour les autres. Si on fait partie du système, alors on a tous les droits. Rencontrer des étrangers, bénéficier de Bourses pour de courts ou longs séjours, être pris en charge dans des colloques ou des réunions internationales avec force per diem. Mais si, d’aventure, un opposant ou tout simplement quelqu’un de rétif au régime bénéficie de la même chose, alors on sortira l’accusation de trahison et les juges s’empresseront d’agir.
Le patriotisme n’est pas affaire de grandes déclarations et de folklore. C’est une ligne de conduite qui vaut quelles que soient les circonstances. Celles et ceux qui crient et dénoncent le plus, celles et ceux qui nous expliquent ce qu’est être un « bon Algérien », sont souvent les plus suspects comme le montrera tôt ou tard l’ouverture de certaines archives françaises. Ces imprécateurs sont comme ce convive qui, lors d’un dîner, ne cesse de médire des voleurs tout en vantant sa propre honnêteté, ce qui oblige la maîtresse de maison à cacher immédiatement son argenterie.
(1) Mes vérités pour Khaled Drareni, texte disponible sur Internet, notamment sur la page Facebook de l’auteur ainsi que sur le site de Radio M qui continue à être interdit d’accès pour les Algériennes et les Algériens !
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