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Le Quotidien d’Oran, jeudi 20 août 2020
Akram Belkaïd, Paris
Ce n’est pas la hchouma, c’est pire. Une tbahdilahistorique, de celles dont on parlera encore dans des décennies. En se faisant balayer par le Bayern de Munich par huit buts à deux ( !) lors du récent quart de finale de la Ligue des champions (on parle ici de foot), le FC Barcelone a réalisé l’une des pires performances de sa longue histoire. Quoi qu’il arrive dans l’avenir, y compris une renaissance digne de la « dream team » de 1992 ou de la « période fabuleuse » de 2006 à 2015 (quatre titres de champion d’Europe), il y aura toujours un mauvais plaisant pour rappeler cette déroute. Sur Internet, des petits malins annoncent déjà que le prochain sponsor du Barça serait le chocolat (à la menthe…) After Eight.
Beaucoup de gens ont glosé sur l’impressionnante maîtrise technique de l’équipe bavaroise. C’est une manière de voir les choses. Ce qui m’a le plus surpris dans ce match, revu pour comprendre, c’est l’état de liquéfaction dans lequel étaient les joueurs du Barça. Face à une équipe décidée à imposer son rythme, il aurait fallu répondre d’abord sur le plan physique, montrer sa capacité à défendre et récupérer haut et à ne pas se laisser faire. C’était et c’est la seule manière de battre le Bayern. Au lieu de cela, passée les premières minutes qui firent illusion, j’ai vu des joueurs marcher (et pas uniquement Messi) alors que l’adversaire était à l’offensive.
Comme indiqué à chaud après la fin du match, je pense que tout cela n’est guère surprenant. Le Barça en a pris huit, il aurait pu en encaisser quatre ou cinq de plus. C’est l’indication concrète d’une fin de cycle qui n’en finit pas de durer. En réalité, le Barça est en crise depuis le départ de Pep Guardiola. Le titre européen obtenu sous la houlette de Luis Enrique en 2015 a permis de prolonger les beaux jours mais l’orage grondait depuis 2012, date à partir de laquelle a commencé le ballet des entraîneurs (Tito Vilanova, Jordi Roura, Gerardo Martino, Luis Enrique, Ernesto Valverde et Quique Setién en attendant le prochain).
En 2011, après une année exceptionnelle, Guardiola voulait entamer un nouveau cycle. Celui qui avait osé confier les clés de l’équipe à Lionel Messi tout en mettant à l’écart des vedettes comme Samuel Eto’o ou Thierry Henry entendait injecter du sang neuf et obtenir le départ de certains cadors ou, du moins, les mettre en concurrence avec des joueurs plus jeunes. S’il n’était pas question de toucher au trio Messi – Xavi – Iniesta, le reste de l’équipe était promis à des bouleversements. Guardiola n’a pas obtenu ce qu’il souhaitait de la part de ses dirigeants, ce qui a acté son départ.
Par la suite, la situation s’est figée. Le cas de Gérard Piqué en est la parfaite illustration. Quand on gagne tout, y compris avec l’équipe nationale espagnole, on a tendance à n’avoir plus faim et à se reposer sur ses lauriers. Et cela s’aggrave quand on mène une carrière parallèle d’homme d’affaires et de membre de la jet-set abonné aux échos de la presse people. Au final, tout se paye. Contre le Bayern, les images isolées de Piqué face aux attaquants adverses étaient sans appel. On dira que le reste de la défense, Nélson Semedo et Clément Lenglet notamment, n’a guère fait mieux. Mais le naufrage de Piqué restera l’un des symboles de cette soirée cauchemardesque.
L’idée que le temps n’est qu’une suite infinie de cycles concerne aussi le football. Il est intéressant d’analyser comment une grande équipe évolue. L’un des facteurs fondamentaux est bien sûr l’âge des joueurs. Le Messi d’aujourd’hui est clairement sur le déclin même s’il est encore capable de fulgurances comme lors des huitièmes de finale. Mais il n’y a pas que cela. Une grande équipe est aussi une alchimie mystérieuse appelée à ne jamais trop durer. Au bout d’un moment, malgré l’harmonie apparente, quelque chose, quelque part commence à se dérégler. Pour qui se souvient de la saison 2010-2011, il y a, par exemple, le souvenir de flottements répétés dans la défense du Barça et d’incohérences dans le positionnement du milieu de terrain. Mais la victoire était encore là et l’on pensait qu’il fallait faire avec ces faiblesses récurrentes. Autrement dit, c’est dans le succès d’une équipe que l’on peut distinguer, certes a posteriori, ce qui provoquera ses revers futurs.
On dit que les grandes équipes ne meurent jamais. Je n’en suis pas si sûr. Aujourd’hui, grande équipe rime comme jamais avec argent. Sans argent, pas de survie. Pas de parcours surprise. L’exemple de clubs anglais qui, jadis, semaient la terreur sur les terrains européens, le montre (Nottingham Forrest, par exemple, dont personne n’entend plus parler). Avec l’argent, le business interlope autour des transferts (zone grise du football où la présence de mafieux n’est évoquée que du bout des lèvres par la presse sportive), l’idée de construire une équipe sur le long terme n’est plus à l’ordre du jour. Le football est devenu une discipline à flux humains permanents. Le concept même d’esprit d’équipe ou d’identité d’équipe ne veut plus rien dire. Si l’on en revient au Barça, il n’est pas anodin de voir que ses jeunes titulaires ne sortent plus de son centre de formation. Il n’y a plus ou presque plus de transmission. Dans les années qui viennent, il y aura de nouveau un FC Barcelone conquérant – sauf à ce que la traversée du désert des années 1970 et 1980 se renouvelle – mais il n’aura guère à voir avec la flamboyance que nous avons connue.
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