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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 18 septembre 2020

La chronique du blédard : Séparatisme et ensauvagement

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 10 septembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

Depuis une vingtaine d’années, à défaut de prendre le pouvoir, l’extrême-droite française voit ses idées se diffuser bien au-delà de la ligne de séparation qui l’a longtemps isolée du reste de la classe politique (laquelle ligne n’existe plus, faut-il le préciser). J’en veux pour preuve le succès que connaissent aujourd’hui deux termes officiellement utilisés par des responsables aux affaires : séparatisme et ensauvagement.

 

Le président Emmanuel Macron veut donc lutter contre ce qu’il appelle séparatisme, une notion vague destinée à remplacer le terme, déjà infamant, de communautarisme. C’est une vieille idée de l’extrême-droite qui se trouve ainsi consacrée, celle selon laquelle des personnes vivant sur le sol français entendent se « séparer » de la communauté nationale en n’adhérant plus, ou plutôt en ne respectant plus, les lois et les principes républicains.  

 

Ne tournons pas autour du pot, les principaux visés sont les musulmans. Cela fait un bon moment qu’ils fournissent matière à polémiques et à débats médiatiques sans fin. Il y a eu le voile, le burkini, les pains au chocolat pendant le ramadan, les prénoms, les salles et tapis de prière dans les entreprises ou les salles de sport, les lieux où la mixité serait interdite, etc. Il y a maintenant les certificats de virginité, pratique qui de l’aveu même du ministère de l’intérieur, demeure ultra-marginale, qu’il s’agit d’interdire à grand renfort de publicité et de buste dressé.

 

Certes, cette petite musique pestilentielle est plus ou moins compensée par de grandes déclarations sur la reconnaissance des convictions républicaines de la plus grande partie des personnes de confession ou de culture musulmanes qui vivent sur le sol français. Mais les oreilles de l’opinion publique n’écoutent que ce qu’elles veulent. Elles retiennent ce qui inquiète et indigne et mettent de côté ce qui peut rassurer, surtout si cela ressemble à des déclarations pour la forme, destinées à éviter d’être accusé de racisme.

 

Le résultat de tout ça est que chaque jour qui passe conforte l’idée que, finalement, les musulmans ne peuvent s’intégrer à la société française. Qu’ils ont leurs propres valeurs et règles et qu’il convient donc de les surveiller de près. Et cela vaut pour tous, quel que soit leur mode de vie. Un faciès, un nom de famille, suffisent à engendrer la suspicion et l’hostilité. Emmanuel Macron qui veut récupérer une partie de l’électorat de Marine Le Pen, dont on dit qu’elle sera de nouveau son principal rival lors de l’élection présidentielle de 2002, joue une partie dangereuse. Il ne s’agit pas uniquement de résultats électoraux. C’est un contexte islamophobe qui se renforce, qui se structure, qui devient intrinsèque à la société française. Cela ne peut que déboucher sur des drames et des outrances à l’image de cette une du torchon Valeurs actuelles– dont le propriétaire ferait des affaires en Algérie – représentant la députée Danièle Obono en esclave. 

 

On aurait aimé que le président prenne plutôt la parole pour dénoncer les menaces et insultes racistes que reçoit tous les jours Azzedine Taïbi, le maire de Stains en Seine-saint-Denis. On aurait aimé que toute la classe politique se mobilise pour le soutenir. Mais non. L’air du temps est ainsi. Cet air du temps qui permet au Figarod’évoquer dans un article des « cellules de lutte contre l’islam et le repli communautaire » (Clir) (9 septembre) alors que ces organismes sont chargés de lutter contre l’islamisme. Le lapsus est édifiant.

 

Ensauvagement, est le mot désormais rendu célèbre par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin. Là aussi, rien de nouveau si ce n’est une montée en gamme dans le discours. Au début des années 2000, Jean-Pierre Chevènement, lui aussi ministre de l’intérieur à l’époque, évoquait les « sauvageons », comprendre ces jeunes des quartiers, source de nuisance, d’incivilités et de délinquances multiples. Prétendre que des sauvages peuplent les banlieues françaises, l’extrême-droite ne pouvait rêver mieux. Entendons-nous, personne ne peut nier que de graves dérives existent dans ces quartiers confrontés au chômage, à la ghettoïsation orchestrée par les autorités et aux violences qui ne peuvent qu’accompagner le développement de l’économie souterraine. Mais user du terme d’ensauvagement, c’est éviter de réfléchir sérieusement aux causes et de reconnaître que la question sociale est au cœur du problème. C’est connu, les pauvres ont tous les torts, surtout quand ils sont d’origine étrangère.

 

C’est une vieille tradition des élites françaises que de conspuer les quartiers populaires. Au début du XXe siècle, on parlait déjà des « Apaches » accusés de toutes les vilénies et de toutes les débauches possibles. La presse de l’époque, comme les chaînes d’information actuelles, a joué un rôle majeur dans cette stigmatisation. Aujourd’hui, je lis et entend des journalistes « progressistes » reprendre cette formulation, effrayés qu’ils sont par le comportement de certains jeunes de banlieues mais aussi – et surtout – désireux de faire l’amalgame entre eux et les différentes mobilisations contre le racisme, les violences policières et la persistance de la mentalité coloniale et esclavagiste dans la société française. A ce petit jeu, les sauvages, les vrais, ne sont pas ceux que l’on croit…

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