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Le Quotidien d’Oran, jeudi 17 septembre 2020
Akram Belkaïd, Paris
Ce texte ne parlera pas de la normalisation honteuse qui vient d’intervenir entre, d’une part, deux « pays » du Golfe, les Emirats arabes unis (EAU) et Bahreïn, et, d’autre part, Israël,. Elle ne dira rien du silence gêné de nombre de capitales arabes, incapables aujourd’hui d’imposer leur voix face à des monarques qui, jadis, avaient peur de leur propres ombres et enfouissaient la tête dans leurs dishdashas immaculées quand les raïss’exprimaient. L’argent des émirs achète tout, y compris les tenants de la souveraineté nationale et tant pis pour le pauvre peuple palestinien. Elle n’abordera pas non plus la fascination que nombre d’Emiratis et Bahreïnis ont toujours éprouvé à l’égard des nuits festives de Tel Aviv, s’y rendant de manière plus ou moins clandestine depuis au moins deux décennies. Non, cette chronique ne parlera pas de ça parce que le cœur n’y est pas, parce que mon confrère Khaled Drareni vient d’être condamné à deux années de prison par une justice inique et aux ordres d’un système qui mène tranquillement l’Algérie vers une nouvelle catastrophe.
Ce texte ne parlera pas de la pandémie de Covid-19 et de ce qu’elle doit nous imposer comme réflexions personnelles. En mars dernier, l’auteur de ces lignes avait évoqué une guerre sachant que cela pouvait être d’autant plus mal compris que ce terme a été utilisé par de nombreux dirigeants politiques. Il me faudrait plus de temps, et plus de place, pour dire pourquoi cette épidémie nous oblige à accepter l’idée de l’incertitude. Dans les pays protégés, qui n’ont pas connu de graves crises depuis la fin de la seconde guerre mondiale, cette incertitude est insupportable pour beaucoup. Mais à quoi bon en parler quand des dizaines de détenus d’opinion sont enfermés en Algérie, dans des conditions sanitaires catastrophiques. Que savent-ils, eux, de l’avenir ? Khaled Drareni et tant d’autres, parmi lesquels je n’oublie pas Rachid Nekkaz qui, quoi qu’on en pense, a osé défier le système quand les rues du pays étaient encore bien calmes, doivent être libres.
Cette chronique ne parlera pas de l’ambiance fétide qui règne en France où les personnes de culture ou de confession musulmane sont toujours et encore dans le collimateur d’une partie des « élites » politiques et médiatiques. Symbole de ce déséquilibre, le cas de cette jeune fille qui a posté une vidéo d’une recette de cuisine. Comme elle portait le voile, de manière plutôt lâche pourtant, une journaliste du Figaro, habituelle diffuseuse de venin islamophobe, s’est crue autorisée à poster « 11 septembre » en commentaire. La mécanique habituelle a fait le reste. La cuisinière a subi un véritable harcèlement en ligne et la journaliste, ayant reçu quelques menaces de la part des inévitables imbéciles qui tombent dans le piège, est devenue lacause à défendre pour la caste politico-médiatique. Je pourrais m’étendre plus longuement sur cette affaire – ou d’autres, mais l’envie n’y est pas. S’il est une hogra qui vaille la peine d’être dénoncée, c’est bien celle que subissent les Algériens. Khaled Drareni, en prison pour avoir fait son métier de journaliste en couvrant le Hirak, ne mérite pas cet acharnement. Les anonymes convoqués par les services de sécurité pour quelques mots de colère ou de moqueries sur Facebook ou Twitter ne méritent pas d’être traités ainsi.
Cette chronique ne traitera pas de la campagne électorale américaine qui se déroule sur fond de chaos météorologique et de montée des tensions politiques mais aussi ethniques. En novembre prochain, les risques sont grands d’une grave crise, Donald Trump ayant décidé qu’il a déjà remporté le scrutin et que s’il venait à être déclaré perdant, ce serait la faute de la fraude, notamment pour ce qui concerne le vote par correspondance, important par ces temps d’épidémie. En 2000, déjà, l’Amérique avait donné une piteuse image d’elle-même avec le scandale du décompte des voix en Floride et la victoire très controversée de George W. Bush. Cette fois, on peut imaginer un scénario à l’africaine, avec deux présidents soutenus par deux camps n’hésitant pas à faire parler les armes. Mais on n’en est pas là. L’Amérique, quels que soient ses travers, a une Constitution respectée et âprement défendue. Par contre, dans le pays où Khaled Drareni, journaliste professionnel reconnu, vient d’être envoyé en prison, la Constitution est un jouet avec lequel se sont amusés tous les derniers locataires du Palais d’El-Mouradia sans que cela ne change la donne : l’Algérie demeure un pays sous-développé (qui coupe internet pour empêcher la fraude à l’examen du bac !) où l’Etat de droit n’existe pas.
Comme le disent si bien les mots de l’écrivain Philippe Djian, mis en musique pour le bon compte de Stephan Jakob Eicher, les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent. La condamnation en appel de Khaled Drareni en est une et elle occulte le reste. Contrairement à ce que j’ai pu lire ici et là, ce n’est pas qu’une simple défaite du Hirak ou de la liberté d’expression. C’est d’abord et surtout une défaite pour toute l’Algérie.
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