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Le Quotidien d’Oran, jeudi 20 mai 2021
Akram Belkaïd, Paris
La tendance n’est pas nouvelle mais l’actualité et l’effet délétère des réseaux sociaux semblent l’aggraver. Face au drame que vivent une nouvelle fois les Palestiniens, notamment et surtout ceux de Gaza, des Algériennes et des Algériens, la bouche en cul-de-poule, rivalisent en déclarations qui se veulent équilibrées pour signifier une distanciation censée être mature, objective et raisonnable. D’autres, et c’est pire, fustigent les Palestiniens, notamment le Hamas, et affirment que rien d’autre ne compte que le sort de l’Algérie ou, dans le cas de certains berbéristes particulièrement excités, de la Kabylie.
Il est difficile de trouver une explication unique à ce genre de reniement ou de calcul de bas-étage. Au-delà du caractère scélérat de certaines stratégies de promotion personnelle, je pense que l’une des plus importantes est l’ignorance ainsi que l’intériorisation de la propagande pro-israélienne que relaient nombre de médias et d’« intellectuels » français influents. Ainsi, certains compatriotes nous expliquent-ils que le conflit est d’essence religieuse et qu’il suffirait d’éliminer les extrémistes de chaque camp – le Hamas d’un côté, l’extrême-droite religieuse israélienne de l’autre, pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes.
A ces ignares qui ne font pas beaucoup d’efforts pour s’informer, il faut rappeler que la question palestinienne est avant toute chose un problème colonial. L’écrivain Arthur Koestler, peu suspect d’hostilité à l’égard d’Israël, a résumé cela par une formule restée célèbre : « un peuple sans terre a pris la terre d’un autre peuple ». Depuis des décennies, la surface qui serait allouée à un éventuel État palestinien ne cesse de se réduire. Parmi les « raisonnables », ou qui font semblant de l’être, beaucoup ignorent, ou font mine d’ignorer, ce qu’est vraiment une colonie. Ils pensent aussi que deux États se font face dans une situation d’équilibre des forces. Or, si Israël existe officiellement depuis 1948, ce n’est pas le cas pour la Palestine qui n’est toujours pas un État en bonne et due forme. En Cisjordanie, il y a aujourd’hui 500 000 colons israéliens. Leur présence, armée et invasive dans tous les domaines, conforte la stratégie d’annexion déployée depuis des décennies par les autorités israéliennes dans ce territoire qu’elles appellent Judée-Samarie.
La bande de Gaza, elle, n’est plus occupée et les quelques 5 000 colons qui y vivaient ont été évacués en 2005 (en Cisjordanie, pour la plupart). Mais c’est une autre forme d’occupation que cette enclave subit. Véritable prison à ciel ouvert, elle n’a pas le contrôle de ses « frontières », qu’elles soient terrestres, aériennes ou maritimes. Ce n’est donc pas un État au sens classique du terme. Soumise à un implacable embargo israélien, Gaza manque de tout : eau potable, électricité, structures sanitaires ou éducatives. Pour qui a connu l’Afrique du sud d’avant la fin de l’apartheid, Gaza n’est rien d’autre qu’un Bantoustan.
Alors, certes, il y a le Hamas dont le programme est d’essence religieuse. Mais rappelons que cette organisation n’est apparue qu’en 1987, c’est-à-dire bien après la Nakba de 1948, la Naksa de 1967 et les divers massacres de populations civiles palestiniennes. Rappelons aussi, comme l’a montré le journaliste Charles Enderlin dans plusieurs de ses ouvrages, que le Hamas a grandi avec la bénédiction et le soutien financier des autorités israéliennes qui voyaient en lui un rival du Fatah et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Et rappelons aussi que la société palestinienne est l’une des plus composites sur le plan religieux et que les Chrétiens de Bethléem sont aussi maltraités par les Israéliens que les musulmans de Naplouse sans oublier ceux d’Hébron qui subissent au quotidien la violence de colons fanatiques.
Être solidaire des Palestiniens, ce n’est pas, comme le hurlent certains crétins racistes, être partisan de « l’arabo-islamisme ». C’est une question de justice et de respect des lois internationales : une page entière ne suffirait pas à rappeler les résolutions des Nations unies en faveur des droits des Palestiniens, y compris celles pour lesquelles les États-Unis n’ont pas opposé leur veto. Pourquoi pas le Tibet, le Yémen, la Syrie ou le Timor ? opposent alors certains avec une ingénuité aussi fausse que méprisable car elle reprend sciemment l’un des arguments de la propagande israélienne. Or, l’un n’empêche pas l’autre. Parmi les camarades qui se mobilisent pour la Palestine, certains étaient déjà actifs pour les droits des Noirs d’Afrique du sud. Mais personne n’a le don d’ubiquité et rien n’oblige à s’engager pareillement pour toutes les causes mêmes si elles nous sont toutes sympathiques. Pour les uns, c’est le climat. Pour d’autres, c’est le sort du peuple syrien ou ouighour. Tout en étant solidaire avec ces luttes, on a le droit de concentrer ses efforts dans ce qui paraît être le plus injuste et le plus insupportable : la privation d’un peuple de tous ses droits, de sa terre et même de son identité.
Cette ignorance dont il vient d’être question se retrouve aussi dans le vocabulaire employé. Je cite ici trois exemples relevés dans la presse francophone algérienne et dans de multiples billets publiés sur les réseaux sociaux. D’abord, l’usage tranquille du terme « tsahal ». Or, comme le note un guide du bon usage des termes à l’antenne de Radio France, cet « acronyme de tsa hagana léyisrael – armée de défense d’Israël a acquis une connotation familière synonyme d’attachement très fort pour les israéliens qui s’en servent comme on le fait d’un diminutif chargé d’affection dans le sens ‘‘notre armée’’. Conclusion : ne pas utiliser. » Employer ce terme c’est donc faire sienne, avec affection, cette armée d’occupation.
Ensuite, j’ai souvent relevé le mot « implantations » en lieu et place de colonies. Dans les médias officiels israéliens, il est interdit de dire « colonies » car cela met en lumière la réalité du problème de fond. « Implantations » est un terme normatif, anodin, quasiment administratif. Cela permet d’éluder qu’il s’agit de têtes de pont du projet d’annexion totale, exception faite des gros centres urbains Palestiniens à qui l’on promet une vague autonomie, un peu comme pour les réserves d’indiens aux Etats-Unis.
Enfin, il y a le terme « Arabes » pour désigner les Palestiniens qui vivent dans les Territoires occupés ou même en Israël. Ne pas employer le mot « Palestiniens », c’est nier délibérément leur existence. C’est dire que, finalement, comme ils sont « Arabes », ils pourraient bien vivre ailleurs. Les intéressés, eux, se disent Palestiniens. Ceux qui sont citoyens d’Israël et dont on découvre à quel point ils sont stigmatisés et relégués, se disent aussi Palestiniens. Ils demandent même à ce qu’on les appelle « Palestiniens d’Israël » ou « Palestiniens de 1948 ». Ne pas le faire, c’est prendre parti contre les Palestiniens.
Terminons enfin par l’un des pires arguments apparu ces derniers jours pour justifier une distanciation à l’égard de la cause palestinienne. La veuve d’Arafat qui vit à Paris serait riche à millions. La belle affaire… Rappelons d’abord que cette dame est issue d’une très riche et vieille famille palestinienne. Oui, cela existe, les Palestiniens ne sont pas tous des miséreux. Les sociétés sont toutes les mêmes et la palestinienne, qu’il faut se garder d’idéaliser, n’échappe pas aux inégalités, à la lutte des classes et aux ravages de la féodalité et du racisme social. Observez bien le comportement de certains cadres et représentants de l’Autorité palestinienne et vous le comprendrez aisément. C’est bien pour cela qu’il faut soutenir les pauvres hères de Gaza, Dheisheh ou Jalazone qui sont les premières victimes de l’occupation. Et les Algériens sont bien placés pour savoir que de nobles causes sont souvent desservies par des dirigeants à la fois peu scrupuleux et totalement incompétents…
1 commentaire:
Voilà c'est dit , répété mais hélas ... Mais répétons-le encore et encore ! My.
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