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Le Quotidien d’Oran, mercredi 12 mai 2021
Akram Belkaïd, Paris
Patrick Artus est l’un des économistes français parmi les plus connus dans le champ médiatique. Très productif depuis la fin des années 1990, ses notes de recherche, notamment celles qu’il publiait à la Caisse des dépôts et consignation (CDC) ont toujours été lues avec attention même si ses prévisions furent souvent infirmées. Ce fut le cas, par exemple, avec ses alertes répétées sur les risques d’une dégringolade brutale du dollar sur les marchés. Comme la majorité de ses pairs, il n’a pas vraiment vu venir la crise financière de 2008 mais ses écrits sur les contradictions de l’économie chinoise ou sur les limites du modèle économique allemand ont fait mouche. Cette fois, c’est avec un livre qu’il relance le débat sur l’avenir du capitalisme (1).
Rente de l’actionnariat
Pour celui qui est aujourd’hui conseiller économique de la Banque Natixis, le capitalisme néolibéral - celui imposé par le duo Margaret Thatcher et Donald Reagan -, a désormais atteint ses limites. Pire, il aurait lamentablement échoué à tenir ses promesses. Quelles sont les grandes lignes qui fondent ce constat ? D’abord, la croissance du produit intérieur brut (Pib), véritable dogme des temps modernes, reste décevante si l’on s’inscrit dans une période historique longue. Depuis les années 1980, il n’est question que de crises, de ralentissements voire de stagnation même si les pays émergents ont donné l’illusion qu’ils prenaient le relais du « vieux-monde ».
Autre réalité incontournable : la planète est devenue un océan d’inégalités sans cesse aggravées. Les riches sont plus riches grâce à l’exubérance des marchés financiers et à la hausse constante de leurs patrimoines tandis que les pauvres restent pauvres, rejoints par des pans entiers de classes moyennes déclassées. La mondialisation a dicté la loi des salaires qui n’augmentent plus par crainte du chômage et des délocalisations. En 2021, il est préférable d’être un actionnaire vivant de son portefeuille que d’être un actif. Et la tendance n’a fait que s’amplifier.
Pour Patrick Artus, le triomphe du « modèle actionnarial » est la raison de cet échec. La logique est connue. Depuis les années 1990, le mantra est le même : l’actionnaire est prioritaire et c’est lui que l’entreprise doit privilégier. Comment ? En lui garantissant des retours sur investissement élevés. Ce que l’on appelle la rentabilité du capital atteint des taux de 15% (en théorie, ils devraient être limités à 5%) ce qui empêche les investissements productifs (l’entreprise ne peut à la fois investir et rémunérer ses actionnaires à la hauteur de leurs exigences). Cela empêche aussi l’innovation (toujours coûteuse) tout en encourageant les décisions à court terme indissociables de la nécessité de rémunérer l’actionnaire (en fermant, par exemple, des sites jugés pas assez rentables). Bref, le capitalisme néolibéral, c’est la rente néfaste de l’actionnaire, résume Patrick Artus.
Plus de solutions
Cela fait des années que l’on sait que ce modèle a atteint ses limites. Un paradoxe quand on sait que les années 1990 furent la décennie de son triomphe après la chute de l’ex-URSS. On pensait alors qu’il était parti pour durer comme en témoigna l’essai provocateur de Francis Fukuyama sur la « Fin de l’Histoire ». Mais le capitalisme est une bête qui résiste. Pour contourner ses impasses, Patrick Artus détaille ses trois parades artificielles successives : encourager l’endettement privé puis laisser filer la dette publique et, enfin, ne plus s’offenser d’une création intensive de monnaie. A chaque fois, il s’agit compenser l’inégale répartition de richesses et les moindres recettes fiscales. Or tout cela ne change rien à l’affaire. Les problèmes du monde demeurent. Une quatrième parade existerait-elle ? La réponse de Patrick Artus est catégoriquement négative. Le capitalisme néolibéral a échoué et il n’a plus de munitions. Peut-être, mais il lui reste une alternative à laquelle l’économiste ne pense pas. Un conflit de dimension mondiale.
(1) « La dernière chance du capitalisme », avec Marie-Paule Virard, Odile Jacob.
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