Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 27 novembre 2015

La chronique du blédard : Après l'attentat

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 26 novembre 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
Avant l’attentat, il y a parfois l’insouciance, la joie, un ciel au bleu profond ou alors une nuit étoilée, une fête, de la musique, à boire et à manger. Il peut y avoir aussi le sentiment fragile d’un répit, l’illusion d’un retour à la normale quand d’autres violences ont précédé, quand des crimes ont été maintes fois commis, maintes fois annoncés. Avant, l’attentat, il y a le plus souvent l’écoulement du quotidien, éprouvant pour les uns, confortable pour les autres, banal pour la majorité. Avant l’attentat, il y a toujours le souci tranquille, l’espérance, fut-elle fugace, d’un monde meilleur qui finira toujours par venir.
 
Après l’attentat, il y a le silence des morts, les plaintes, les cris et les pleurs des survivants, des blessés ou des condamnés. Il y l’effroi, la douleur, la fuite des anges et le rire satisfait des démons. Il y l’horreur, toujours elle, encore elle. L’horreur qui règne et guide ce monde en train de devenir fou. Après l’attentat, juste après l’attentat, avant que ne résonnent les hurlements stridents des sirènes, il y a une suspension du temps, quelques secondes, quelques minutes, où rien ne se passe si ce n’est qu’une nouvelle brèche vient de déchirer l’humanité. Enfin, il y a aussi les sonneries ou les vibrations répétées mais désormais inutiles des téléphones portables.
 
Après l’attentat. Il y a la peur et l’inquiétude. La sensation d’être dans un long tunnel obscur où des lames affutées peuvent frapper à tout instant. Il y le cœur qui s’emballe, la main droite qui tremble, les souvenirs, mauvais, très mauvais, qui affluent, le sommeil qui s’en va. La peur, oui, la peur pour les siens, pour les amis, pour les proches. Pour les autres. Pas pour soi. Rarement pour soi. Après l’attentat, il faut appeler, rassurer, se rassurer, échanger. Il faut essayer de savoir pour ne pas céder à la panique que véhicule déjà la toile et ses multiples réseaux, ses gazouillis qui transmettent de sombres paroles et prédictions. Après l’attentat, se répéter, toujours et encore la même devise, ne pas céder aux pulsions premières et savoir raison garder.
 
Après l’attentat, vient la rage et colère. Mais raison garder... Très vite, déferlent les déclarations martiales, les discours et les promesses. On les écoute à peine, on sait qu’elles ne servent qu’à donner le change, qu’elles s’inscrivent dans le protocole nécessaire, celui qui entend combler le vide et chasser la sidération. Sidération… Ce mot, que nous ne cessons d’employer. Sidérations successives, hélas de plus en plus fréquentes. Après l’attentat, viennent donc les politiques et leurs sillages. Il faut trouver les coupables, désigner les fautifs, débusquer les erreurs et les incompétences, les complicités réelles ou objectives, les traîtres et les défaitistes. Il faut de la vengeance et des représailles. Raison garder...
 
Après l’attentat, viennent les moments d’humanité, simples et gratuits. Un partage du fardeau induit par le mal. L’instant où la force de la destruction a été telle que plus rien ne compte si ce n’est le fait de donner et de recevoir. Le fait de commencer à reconstruire même si cela n’est que symbolique même si c’est à partir de rien. Un rien précieux parce qu’il existe. Il faut tendre la main pour oublier ceux qui veulent la couper. Après l’attentat, il y a la vie, la volonté de continuer. Une sève qui remonte. Mais cela ne dure pas. Les jours qui suivent sont ceux de la chute ou de la rechute. Dans le monde, d’autres attentats, d’autres horreurs. Une folie chasse le souvenir de l’autre. Une farandole démoniaque. Après l’attentat, il y a la pluie et le froid glacial ou alors la canicule et l’air irrespirable. Après l’attentat, il y a une tristesse qui mine, il y a une ville qui pleure. Des villes qui pleurent…
 
Après l’attentat, il y a les hyènes qui accourent. Les vendeurs de mensonges, les faiseurs, les analyseurs à deux centimes et les experts qui valent autant. Remplir la béance avec de l’inconsistance, donner à manger à la machine télévisuelle, exister de longues heures en contribuant à tuer la quête de sens. Après l’attentat, il y a les opportunistes qui n’ont en tête que leurs objectifs – ils disent leur agenda – qu’ils soient politiques (« plus de sécurité, moins de liberté »), éditorial (« comme je l’ai écris dans mon livre ») ou tout simplement égotique (« je me sens tellement mal, rendez-vous compte, j’aurais pu y être » ou bien encore, « je connais quelqu’un qui connaît une victime… »). Après l’attentat, il y a la mise en scène habituelle d’un monde médiatique profondément malade, arrogant et nombriliste. Il faut trouver la formule et le concept qui feront date, en clamer immédiatement la paternité et se construire une légitimité posée sur des cadavres. Génération ceci, Je suis cela
 
Après l’attentat, il y a le déferlement de la bêtise, méchante et, peut être, incurable. Les racistes et les haineux qui s’en donnent à cœur joie, qui trouvent matière idéale à amalgame. Mais aussi les tarés qui justifient l’injustifiable, qui excusent ou qui, parfois, hélas, jubilent ou s’amusent du malheur ambiant. Des irrécupérables qui relativisent l’horreur en évoquant le contexte ou qui relayent les rumeurs et la bouillie complotiste. Après l’attentat, il y la nécessité de lutter contre la confusion des sentiments, de démêler le faux du vrai, de ne pas céder aux colères faciles, aux provocations évidentes ou sournoises. Raison garder, encore et encore.
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La chronique du blédard : Battre Daech ?

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Le Quotidien d’Oran, 19 novembre 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
A première vue, la mise en place c’une grande et unique coalition internationale contre le groupe Etat islamique (EI ou Daech) est une décision qui s’impose. Semant la mort un peu partout y compris au Maghreb et en France, minant l’intégralité territoriale de l’Irak et de la Syrie, multipliant les actes de sauvagerie et d’abomination, cette organisation criminelle et terroriste doit effectivement être mise hors d’état de nuire. Une fois énoncée cette urgence, il convient de s’attarder sur la faisabilité de cet objectif stratégique pour la paix au Proche-Orient.
D’abord, ce constat. Ni l’armée syrienne, ni l’armée irakienne ne sont capables de vaincre Daech. On sait que la première, du moins ce qu’il en reste, évite soigneusement de se confronter avec le groupe Etat islamique, préférant montrer son savoir-faire dans le bombardement des populations civiles. De son côté, la seconde restera dans les annales de l’histoire militaire après sa honteuse débâcle de l’été 2014 où, non seulement elle a fuit face aux troupes de Daech – en abandonnant la population de Mossoul à son sort – mais où elle a aussi laissé des tonnes d’armements lourds et légers. Cela veut dire qu’envoyer une énième cohorte de conseillers et de formateurs pour aider ces armées ne servira à rien. A ce jour, seuls les Kurdes et quelques groupes armés de l’opposition syrienne se battent au sol contre l’EI. Cela peut suffire à contenir ses troupes mais cela ne peut mener à sa défaite.
 
Il faudra donc, tôt ou tard, l’intervention d’une tierce armée sur le champ de bataille. Question, quelle sera cette armée ? Quel est le pays qui est prêt à engager ses troupes dans une bataille qui sera tout sauf une promenade de santé ? Ni le Liban ni la Jordanie ne sont capable de le faire car leurs armées sont trop faibles.  De son côté, l’Egypte a fort à faire chez elle sachant que ses dirigeants ont encore en mémoire le souvenir très mitigé de l’intervention militaire égyptienne au Yémen pendant les années 1960. L’Iran, dont les gardiens de la révolution participent déjà aux combats en soutien à l’armée de Bachar al-Assad, a les moyens de vaincre militairement Daech. Mais rien ne dit que les autres puissances régionales accepteront son implication. La Turquie et l’Arabie Saoudite (et Israël) ne peuvent voir celui qu’il considère comme leur ennemi direct prendre autant d’importance.
 
La Turquie, elle, a aussi la capacité militaire de détruire Daech. Encore faudrait-il que ses dirigeants le veuillent. Ce n’est un secret pour personne, Ankara a joué avec le feu en laissant passer sur son sol les djihadistes et les recrues de l’EI. Elle n’est jamais intervenue militairement, y compris après les récents attentats commis sur son sol, contre une organisation qui entend pourtant instaurer le Califat et qui ne cesse de qualifier le président Tayyip Recep Erdogan d’ennemi à la solde de l’Otan et des Américains. Cette neutralité alimente soupçons et critiques. Certes, elle peut s’expliquer par le fait que les autorités turques craignent l’apparition d’un phénomène djihadiste sur leur sol. Mais il est impossible de nier qu’il existait, jusqu’à il y a plusieurs mois, un pacte de non-agression plus ou moins implicite.
 
Reste enfin l’Arabie saoudite dont la préoccupation majeure semble être aujourd’hui de continuer à bombarder le Yémen, l’un des pays les plus pauvres de la planète et dont le triste sort ne semble émouvoir personne. Et quand on voit l’incapacité saoudienne à réduire la rébellion houthiste on est en droit de se demander si son intervention éventuelle contre l’EI servirait à quelque chose. A cela s’ajoute le fait que Riyad, qui reste obnubilé par le danger iranien, s’est toujours gardé de critiquer ouvertement cette organisation qui a d’ailleurs bénéficié de financements en provenance des pays du Golfe. On sait que les deux parties partagent la même vision d’un islam rigoriste et qu’il n’y a guère de différences entre elles dans la conception de la justice, du sort des femmes.
 
Il faudra donc beaucoup d’efforts et de tractations pour que les trois puissances régionales que sont l’Arabie saoudite, l’Iran et la Turquie, se joignent à une coalition contre l’EI. Et il en faudra encore plus pour les persuader de mener cette action militaire seuls, sans l’apport de troupes occidentales. C’est bien connu, à Paris comme à Washington, le discours est le même : pas question d’envoyer des troupes au sol car c’est aux pays de la région d’intervenir.
 
En réalité, personne n’est dupe. N’importe quel observateur de ce qui se déroule en Syrie sait qu’il faudra tôt ou tard une intervention occidentale terrestre voire russo-occidentale pour défaire le « Califat de Raqqa ».  Et là aussi les obstacles sont nombreux pour mettre en place une telle coalition. Quid du régime de Bachar al-Assad ? Les Occidentaux, adeptes du fameux « ni-ni » (ni-Assad, ni-Daech) veulent son départ, les Russes le refusent. Les négociations en cours à Vienne tentent de lever ce blocage mais on devine que toute intervention militaire contre l’EI est vouée à l’échec si d’aventure rien n’est préparé pour la suite sur le plan politique.
 
Enfin, il est évident que la chute, encore très hypothétique du groupe Etat islamique – lequel dispose d’importantes ressources financières, on doit aussi le rappeler - ne résoudra aucun des problèmes liés au djihadisme et à la radicalisation de la jeunesse musulmane où qu’elle soit. Mais ceci est déjà un autre problème.
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mercredi 25 novembre 2015

Isis and The West

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"Since they went on their murderous rampage through the streets of Paris, there have been a lot of voices describing Isis as an 'existential threat'.
No, they are not.
That description flatters them and tends to infer that we are so powerless to deal with this menace that we should not even bother to try.
The Soviet Union was an existential threat during the cold war. The Kremlin had the capacity to wipe out everyone in the west and we the capacity to annihilate them.
The Nazis were an existential threat. While Isis is unquestionably ambitious to spread as much as it can of its especially psychotic brand of death and havoc, and principally does so against Muslims in the territory it controls in Syria and Iraq, it cannot and will not defeat liberal democracies.

Andrew Rawnsley, The Observer, 22.11.15

mardi 24 novembre 2015

Sisi's war on reporters

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By Mona Eltahawy
(New York Times, 24 novembre 2015, extraits)

"I have been writing a version of this for years now: While Egypt's regime is brutal and unjust, its ruthlessness is rewarded by other governments with aid, weapons and business deals. All in the name of that euphemism, stability.
(...)
"The Egyptian Commission for Rights and Freedoms has recorded 1,411 cases of forced disappearances sor far this year. In one recent case, in Alexandria, a groom was arrested at his own wedding. Egypt now holds an estimated 40,000 political prisoners. (...)
"With a regime as paranoid and brittle as this, it is not hard to anticipate its actions. A recent Sunday this month was typical: An investigative journalist was detained and interrogated by military prosecutors, a businessman and his son were arrested, and a TV anchorwoman was suspended from her job.
(...)
"According to the Arabic Network for Human Rights Information, there are 62 media workers in Mr Sisi's jails. Try as it might to silence its criticts, the regime must know that jailing journalists can muzzle criticism only for a time. In the end, such action only amplifies its desperation and fragility"
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dimanche 15 novembre 2015

La guerre d’Hollande

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Lignes quotidiennes, 15 novembre 2015
Akram Belkaïd, Paris

La guerre… Ce mot est dans toutes les déclarations officielles, martelé en boucle par le président François Hollande et son Premier ministre Manuel Valls, repris à l’unisson, et avec une certain jubilation malsaine, par les médias et leurs inévitables panels de spécialistes habiles à combler d’interminables temps d’antenne. La guerre donc. Admettons. Mais encore faut-il préciser quel genre de guerre. La patrie française n’est pas envahie, occupée, son sol n’est pas souillé par une offensive, massive et éclair, menée par des cavaliers ou des chars ennemis. Si guerre, il y a, elle est asymétrique et, en apparence, déterritorialisée. Elle oppose un pays qui possède son armée, ses institutions, ses frontières bien établies à une organisation opaque régnant sur un territoire proclamé califat et dont les contours demeurent incertains. En France, c’est donc une guerre sans front mais avec une menace permanente, une peur diffuse et une incapacité des pouvoirs publics à garantir que les tueries du vendredi 13 novembre ne se répèteront pas. En Irak et en Syrie, c’est une guerre plus classique avec une aviation qui bombarde sans relâche des positions ennemies.

Cette guerre, c’est la France qui l’a commencée. C’est le président François Hollande et son gouvernement qui l’ont décidée en intervenant militairement en Irak contre l’Organisation de l’Etat islamique (EI) après le chute de la ville de Mossoul à la fin de l’été 2014. Cette guerre n’a pas fait l’objet d’un débat national. Le Parlement n’a pas eu à donner de feu vert puisque la Constitution permet au Chef de l’Etat français de décider seul. En théorie, la décision française d’intervenir peut paraître louable quand on connaît la sauvagerie et la violence inouïe dont sont capables les troupes de l’EI. Mais était-ce vraiment l’affaire de la France ? Etait-ce à elle de s’immiscer dans un conflit vis-à-vis duquel même les Etats-Unis – responsable direct du chaos irakien depuis l’invasion de 2003 – font preuve d’une extrême prudence ? Intervention au nom des droits de l’homme ? D’accord, et pourquoi alors ne pas aller bombarder Boko Haram au Nigeria ou alors les Farc en Colombie ?

Cette guerre, la France s’y est encore plus engagée depuis peu en bombardant Daech en Syrie (et en rendant donc un service indirect au régime de Bachar al-Assad). L’attaque du vendredi 13 novembre est donc le dernier épisode en date de ce conflit entre la France et l’EI. Les tueries étaient la réplique de cette organisation terroriste. Et, comme dans tout conflit, ce ne sera pas la dernière. En clair, François Hollande doit s’expliquer sur les raisons qui ont fondé l’intervention française en Irak et en Syrie et convaincre que cet aventurisme militaire n’était pas fondé sur des considérations de politique intérieure (pensons à tous ces articles obséquieux vantant « Hollande le guerrier »…). Il doit aussi s’expliquer sur le fait que la population française n’a pas été suffisamment informée sur les risques, réels et importants, engendrés par cette guerre qu’on a voulu lui faire croire lointaine et sans conséquences. C’est avant le 13 novembre qu’il aurait fallu dire aux Français que leur pays était engagé dans une guerre qui, tôt ou tard, allait faire des dégâts humains sur le territoire national. L’Histoire retiendra donc cette double faute : un aventurisme militaire intéressé et désinvolte, d’autant plus dangereux que la France n’a guère les moyens de mener durablement cette guerre (et de se protéger efficacement), et un silence coupable à l’égard de l’opinion publique.

La guerre donc… Une guerre se gagne ou se perd. Ou bien alors elle devient, comme dans le 1984 d’Orwell, lointaine et permanente. Comment gagner cette guerre ? En « exterminant » Daech exige l’ancien président de la République française Nicolas Sarkozy. D’accord. Les raisons de l’engagement français ont beau être controversées, il est impossible de ne rien faire et de tendre l’autre joue. Il faut donc que l’EI paie pour ses crimes. Mais comment le vaincre ? Comment l’exterminer ? Comment faire en sorte d’éviter qu’un monstre pire encore n’émerge de ses décombres ? Et qui peut croire qu’on peut vaincre, exterminer, une armée de plus de 30.000 soldats, uniquement par le biais de bombardements aériens dont le moins que l’on puisse est que leur efficacité reste à prouver ? A ces questions, Hollande et Valls n’apportent aucune réponse, n’esquissent aucune réponse tangible.

« Votre guerre, nos morts » est un slogan qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux dès vendredi soir. Un slogan que les principaux médias se sont bien gardés de citer ou de chercher à analyser. Pourtant, il résume bien la situation. Voilà la France et les Français embarqués dans une guerre voulue par une poignée d’hommes politiques irresponsables en mal de popularité. Cette guerre, il faudra bien la mener jusqu’au bout mais une chose est certaine, ceux qui l’ont déclenchée n’ont pas l’étoffe pour la terminer.
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vendredi 13 novembre 2015

Après les attentats de Paris

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Face à l'horreur, d'abord, la nécessité impérieuse de condamner sans la moindre réserve ou nuance ces actes inhumains, monstrueux.
Ensuite, dire notre solidarité aux victimes et à leurs familles ainsi qu'oeuvrer à l'union nationale et cela malgré les inévitables outrances auxquelles nous allons assister.
Enfin, il sera toujours temps d'interpeller le gouvernement français sur la cohérence de sa politique au Moyen-Orient.
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La chronique du blédard : Nina sur la route de Salim alias ( ?) Djilali

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 12 novembre 2015
Akram Belkaïd, Paris






Livre après livre, sans grands tapages médiatiques paralittéraires, Djilali Bencheikh continue de tracer un sillon original au sein de la grande famille des romanciers algériens. Après Mon frère ennemi (*), dont la trame autobiographique se déroulait durant la Guerre d’indépendance, il explore cette fois-ci le désenchantement qui a suivi la courte euphorie de juillet 1962 (**). C’est alors l’époque des discours interminables du président Ahmed Ben Bella, des nationalisations quasi-quotidiennes et des rumeurs continuelles à propos de l’intention de Houari Boumediene, l’austère ministre de la Défense, de mener un coup d’Etat. Le pays ressemble ainsi « à une auberge espagnole, où chacun apporte son aspiration délirante ». Pieds-rouges et coopérants français, militants marxistes, révolutionnaires du tiers-monde, tous sont désireux de contribuer à bâtir une Algérie nouvelle. Dans les rues de la capitale, on croise même Che Guevara, marchant seul non loin de l’ex-café Otomatic, « armé de sa pipe, un léger sourire illuminant son regard », vêtu « d’une simple veste kaki des guérilleros, une démarche à l’algérienne, lente, désinvolte. Aucun garde du corps. Chez nous [En Algérie], il était chez lui ». Le Che à Alger… Soupir… On dira ce que l’on voudra de ce qu’est devenu le pays depuis ces temps déjà lointain, mais bienheureux tout de même est celui qui les a vécu…

Salim, personnage principal, est un jeune étudiant en sciences économiques (« sciences sans écho » pour lui). S’il garde un œil sur les turbulences politiques, il rêve avant tout de se déniaiser. « Ce n’est pas moi, c’est mon corps qui piaffe, explique-t-il. Impossible de le contenir, surtout dans le glissement feutré des saisons. Ne le dites à personne, je suis encore puceau, à dix-neuf ans. A Paris, ce serait un scandale. Ici [A Alger], c’est une vocation. Tous les camarades d’amphi sont dans le même état. Leurs frustrations se lisent dans leurs regards vides, injectés de sperme. » Et comme il n’a aucune « envie de ressembler à ces bœufs mentalement castrés », Salim prends aussi des cours de danse pour épater la gente féminine pendant les « bouffas », ce terme désormais désuet qui a désigné boums et autres surprises-parties jusqu’à la fin des années 1970. Mais rien ne se passe. On le suit donc au fil de ses râteaux et de ses amours platoniques. On l’accompagne dans un voyage avec d’autres étudiants (et étudiantes…) en Tunisie, où quelques pages acides suffisent à résumer ce que fut le comportement de certains Algériens dans ce pays frère avant et après l’indépendance. Mais le séjour tunisois est tout de même l’occasion pour Salim de franchir quelques paliers dans la découverte rapprochée de la gente féminine même si sa quête de chair demeure (presque) vaine.

Pourtant, ce voyage au pays de la boukha, véritable bouffée d’oxygène pour Salim et ses camarades auxquelles les lois de Ben Bella interdisent la consommation d’alcool à Alger, est le moment fondateur. C’est la rencontre avec Nina, jeune fille maigrelette, du moins en apparence, dotée d’une intelligence vive et d’une ironie redoutable. C’est le début d’un grand amour (on n’en dira pas plus) dont les péripéties témoignent d’un temps révolu, comme ces rencontres furtives dans un cinéma dont la pratique a perduré jusqu’à la fin des années 1970. Le présent chroniqueur peut en témoigner. Alors adolescent, certains cinémas d’Alger lui étaient interdit avec sa bande. Pas question de déranger les couples qui se bécotaient dans le noir, indifférents au film, âpres au smac. Il arrivait parfois que l’on puisse entrer mais à condition de s’installer dans les fauteuils de l’orchestre, le balcon étant réservé aux flirts plus ou moins poussés (cas notamment du cinéma el-Khayam ex-Débussy). Fin de la parenthèse.

Puis vint le coup d’Etat et des promesses non tenues. Les uns fuient le pays de manière définitive, d’autres partent en vacances quelques semaines en Europe. Nina et les siens appartiennent à la première catégorie. Salim, lui, va sillonner Paris puis l’Allemagne (un périple qui est presque un second roman). Devenu militant politique et syndical, il vit mal l’éviction de Ben Bella malgré toutes les réserves que faisait naître en lui le « zaïm » et son révolutionnarisme brouillon. Ah, ce « réajustement révolutionnaire » du 19 juin 1965... Peu, pas beaucoup, ou du moins pas assez de protestations. A de rares exceptions, comme à Annaba, le peuple se tient à l’écart. Les dirigeants du Parti communiste algérien, des syndicalistes, des responsables étudiants sont arrêtés ou passent dans la clandestinité. Et pour bien acheter la tranquillité, le nouveau pouvoir supprime l’interdiction de l’alcool aux Algériens. Dans les brasseries du centre d’Alger, c’est la fête…

Des femmes sortent pourtant dans la rue pour manifester leur colère. « Aucune réaction populaire n’est venue sanctionner ce forfait militaire », écrit l’auteur. « Jour de putsch normal. Personne ne semble surpris. A force d’en entendre parler chacun l’a intégré dans sa réalité. Et voilà qu’une poignée de femmes, des mammas intrépides, des Leila-courage, relèvent le défi. Les slogans sont entrecoupés de youyous qui m’électrisent. C’est par des youyous que les Algériennes ont galvanisé les manifestants de décembre 1960 et après, pour demander à De Gaulle une Algérie algérienne. (…) Le youyou fait donc partie du patrimoine national. Ce hululement d’allégresse tourne parfois au hurlement de détresse. Une arme de combat, à l’instar du cri arts martiaux qui paralyse l’adversaire. La tonalité désespérée m’arrache des larmes ». On l’aura compris, au-delà de sa quête amoureuse et de ses références historiques, Nina sur ma route est aussi, à sa façon, (souvent plus qu’érotique ce qui a dissuadé certains éditeurs algériens de le publier…) un roman féministe.

(*) Barzak (Alger) et Elyzad (Tunis), 2013.
(**) Nina sur ma route, Djilali Bencheikh, Zellige, 412 pages.
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samedi 7 novembre 2015

La chronique du blédard : Parlons wech-wech

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 5 novembre 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
Ouèche lectrice, ouèche lecteur, ça va chouia ? Prêt à lire la chronique ? Allez, on zyva… Partons de « ouèche », ou « wech » dans sa version francisée, qui est l’un des mots vedettes du moment. Comme souvent, c’est la banlieue et le rap qui se sont emparés de ce terme – avec le fameux « wech gros, ça va ? »  avant qu’il ne se diffuse dans le reste de la société française. Petits exemples glanés ici et là. « Wech, tu nous as oubliés ? ». « Wech, qu’est-ce que tu veux ? ». Et mon préféré : « Wech la famille ? ». Dans le langage courant et dans les médias on a vu apparaître de nouvelles expressions comme « les wech-wech », comprendre les jeunes des cités qui parlent ou écrivent le… « wech-wech ».
 
L’irruption et l’installation définitive de mots arabes dans la langue française n’est pas une nouveauté (« ces ambiances, ça m’fait kiffer. Je prendrai bien un kawa avec un petit chouia de lait »). Relevons au passage cette étrange expression : « un petit chouia », autrement dit « un petit ‘un peu’ »… Certains termes arabes sont identifiés comme tels mais d’autres pas. Amusement du présent chroniqueur quand il entend un « français-français » parler d’une autre personne en la traitant de « brêle » (ou bghel). Sait-il que ce mot signifie mule ou mulet en arabe ? Surprise de l’intéressé qui écoute avec intérêt les petites explications lexico-éthymologiques. Comme souvent, c’est l’argot militaire qui a introduit le terme dans le langage courant (c’est d’ailleurs le cas du mot blédard). Aujourd’hui « une brêle » signifie un abruti ou bien alors, même si c’est de plus en plus rare, une moto ou une mobylette voire un vélo…
 
Le flux d’emprunts à l’arabe (mais aussi à l’anglais) est permanent et il est intéressant de signaler les nouveautés. On connait déjà l’incontournable « zaâma » qui se dit « zarma » et qui signifie « soit-disant » ou « genre » (« zarma, il se la joue intellectuel avec ses lunettes… » ou bien alors « wech, tu te la pètes zarma zarma » ce qui, en gros, signifie avoir la grosse tête). Mais chaque jour ou presque apporte son lot de surprises. Ecoutons avec attention ce grand poète qu’est Soprano et son tube « fresh prince ». Il nous raconte qu’il débarque dans une discothèque accompagné de ses « thugs » (prononcez « teugs », voyous en anglais mais qui signifie ici ses potes, sa bande, ses copains prêts à aller au combat avec lui). Après s’être attribué la « classe de Brad Pitt » (laquelle fait « bugguer » les femmes d’autrui), Soprano explique que quand « le DJ met [son] son, dans la boite c’est le zbeul ». Le « zbeul » donc, de l’arabe « zbel », autrement dit les ordures. Désormais, le terme veut dire désordre (« il a mis le zbeul en classe… »), ambiance de folie et même une soirée arrosée (« samedi, on va se taper un de ces zbeuls… »). En clair, si on veut être branché, on ne dit plus mettre le b…del chez Mme Adèle mais f..ttre le zbeul à Nabeul.
 
Autre exemple plus récent. Que dit une adolescente très « swag », autrement dit élégante ou habillée à la mode, d’une copine rongée par la jalousie ? Tout simplement qu’elle a le « seum », autrement dit le venin (ou le poison) en arabe. Ainsi, « Fouzia a le seum de voir les ‘fraîcheurs’ et les ‘populaires’ être entourées de garçons ». Avoir le seum, signifie donc être jaloux, envieux, mais aussi être en colère, être amer ou frustré. « En ce moment j'ai le seum j'ai envie de fumer un MC » chante de son côté Red Cross, un groupe de rap belge (si, si, je vous jure que ça existe) lequel en veut visiblement à un « maître de cérémonie » autrement dit une vedette musicale… Mais ce mot peut avoir un autre sens puisqu’il désigne une variété de cannabis très recherchée pour ses effets surpuissants. « Ça vient du Maroc, khouya (frangin), et c’est un d’ces seum… »
 
On peut avoir le seum parce que notre vie est plombée par le « hass » ou le « hess ». C’est une autre nouveauté qui vient de l’arabe « hassd » soit l’envie et par extension la volonté de nuire, de faire du mal, de s’adonner à la « mizidonce », pardon à la médisance. « En France, la hass nous met des baffes aussi » chante à ce propos le groupe Sexion d’Assaut. Il fut un temps où l’on se disait être dans la galère ou dans la dèche pour décrire un quotidien plus que difficile, maintenant, on dit «  je suis dans la hass ». Et il arrive parfois que « hass » signifie la honte aussi ou plutôt « larchouma » (« hchouma » en arabe).
 
Poursuivons ce tour d’horizon en wesh-wesherie avec un mot qui se répand peu à peu. Je suis « zéref » ou « il m’a zerfé » vous dira un jeune très en colère ou irrité par quelqu’un d’autre. Cela vient de l’arabe z’âaf (z3af). A noter aussi les « rnouchas », qui vient de « hnouchas » ou serpents et qui désigne les policiers ou leurs indics. On pourrait aussi consacrer des lignes entières à toutes les grossièretés venues de là-bas chez nous et qui vivent une nouvelle vie en France mais l’article 852 du code de censure et d’éthique interdit de les citer. On dira juste qu’il y en a une qui commence par la lettre z et un autre par la lettre k (écrire au directeur du Quotidien d’Oran pour savoir de quoi il s’agit). Pour conclure, voici un petit exercice de compréhension. A vos crayons et traduisez : « Wouallah, je suis très zéref. Mes thugs, ils ont le seum parce qu’ils n’en peuvent plus de la hass. Alors, ils mettent le zbeul et ils attirent les rnouchas. C’est larchouma pour tout le monde mais, wesh, qu’est-ce qu’on peut faire ? ».
 
Et voilà, c’est terminé (pour cette fois). Sinon, ouèche lectrice, ouèche lecteur ? T’as bien kiffé cette chronique ou walou ? Si ce texte t’a zerfé, il faut juste m’envoyer un message du genre bézef, c’est bézef !
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jeudi 5 novembre 2015

Footballeur : joue et ferme ta gueule

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Extraits d’un entretien accordé par Emmanuel Petit (*) à l’hebdomadaire France Football (**)

Emmanuel Petit : (…) quand on ne veut pas entendre quelqu’un, on le marginalise pour le décrédibiliser. Au pire, c’est un malade, au mieux, un écorché vif. De façon générale on n’accepte pas que des joueurs représentatifs puissent avoir une réflexion. On veut qu’ils soient cantonnés à leur valeur marchande, à leur image marketing. Et s’ils peuvent servir d’exemple aux gamins, c’est tout bénéf. Mais qu’un sportif s’exprime sur un fait de société, qu’il donne son avis, qu’il sorte de son pré carré, et il se fait allumer. Regardez Lilian (Thuram), ce qu’il se prend sur les réseaux sociaux ! La génération actuelle a compris ça. Ils ont compris que l’image est l’élément essentiel de leur carrière. En parlant, ils ont peur que cette image soit écornée. Les sportifs sont considérés comme des gueux, des gens avec deux neurones. C’est vrai que certains font tout pour que les préjugés aient la vie dure. Mais si Beckham est une telle icône marketing, c’est parce qu’il ne dit rien sur rien, parce qu’il est lisse. Cette obsession de l’image, cet égoïsme, nuit à l’équipe de France.
France Football : C'est-à-dire ?
C'est-à-dire que quand on joue en équipe nationale, on doit être un ambassadeur de son pays. On doit oublier le marketing, l’image, parce que la sélection a une dimension presque citoyenne. Or toutes les normes du milieu pro vous poussent à ne pas penser à cela. Il faut sans cesse rappeler cette priorité. Mais la sélection est devenue un passage obligé pour valoriser son image.
France Football : Vous dites cela parce que vous avez quelques années de plus, mais étiez-vous conscient de ce rôle lorsque vous étiez en bleu ?
J’avais ce recul. Et mes coéquipiers également. On avait des discussions sur tout. On n’était pas d’accord, on avait des avis différents sur plein de sujets mais on se respectait parce qu’on assumait quand il s’agissait de défendre son avis. Aujourd’hui, on fait signer des chartes aux joueurs pour leur demander de ne pas évoquer les sujets politiques, religieux. On les cantonne au foot, au cul et à la bagnole. Comme ça, il n’y a pas de risque.

(*) A lire son ouvrage qui vient d’être publié : Franc-tireur, éditions Solar, 232 pages, 18,90 euros
(**) : 16 septembre 2015, propos recueillis par Patrick Sowden

La chronique du blédard : Dix ans après Clichy

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 29 octobre 2015
Akram Belkaïd, Paris

Il y a dix ans, Zyed et Bouna, deux enfants, mourraient électrocutés dans un transformateur EDF à proximité de la ville de Clichy-sous-Bois en région parisienne. Les circonstances de ce drame qui a provoqué plusieurs semaines d’émeutes dans toute la France sont connues dans leurs grandes lignes. Des jeunes jouent au football et rentrent chez eux pour la rupture du jeûne (c’était alors le ramadan). Des policiers les coursent. Une fuite comme il s’en déroule souvent. Comme il s’en passe encore aujourd’hui. Ces gamins n’avaient rien fait, rien volé, rien cassé, rien outragé. Ils n’avaient commis aucun délit. Ils avaient juste peur d’être contrôlés et de devoir passer plusieurs heures au commissariat.

Il est difficile de lutter contre l’amertume qu’engendre le souvenir d’octobre et novembre 2005. Symbole parmi les symboles, on sait que la justice française a décidé au printemps dernier de ne pas condamner les policiers accusés de non-assistance à personne en danger. Certes, l’affaire, qui a mis dix ans à être jugée ( !), est en appel mais comment ne pas échapper à ce sentiment de malaise, à cette sensation que la mémoire des deux victimes n’a jamais cessé d’être outragée. On se souvient que le ministre de l’intérieur de l’époque, un certain Nicolas Sarkozy, avait pris quelques libertés avec la vérité en affirmant qu’il n’y avait pas eu de course-poursuite puis en expliquant qu’un vol avait été commis dans un proche chantier comme si cela justifiait le reste. On réalise ainsi que cette affaire a toujours subi un déni officiel et cela mine les familles des deux victimes même si elles font preuve d’une grande dignité.

On se souvient aussi du climat lourd qui avait précédé les émeutes notamment après les déclarations du même Sarkozy, candidat presque déclaré à l’élection présidentielle de 2007, qualifiant la jeunesse des cités de « racaille » et affirmant que la banlieue devait être nettoyée « au karcher ». Dans un tel contexte, le choc des émeutes ne pouvait qu’être violent et il le fut. On pensait qu’il allait être salutaire, il n’en fut rien. Les élites françaises, notamment politiques, ne se sont pas réveillées. Elles n’ont pas compris que l’avenir de la France et de sa cohésion sociale se jouait aussi dans les banlieues. Bien sûr, il y a une pile de chiffres et de statistiques pour affirmer le contraire. La politique de la ville, les tours détruites, les façades ravalées, on connaît la chanson. Mais on passe sous silence les nouvelles constructions aux loyers trop élevés et surtout cette persistance multiple. Persistance du chômage, persistance des difficultés de transport, persistance des contrôles au faciès, contrôles susceptibles d’être répétés plusieurs fois par jour, tutoiement désobligeant en prime.

Des promesses de changement, il y en a pourtant eu. Les émeutes de 2005 ont provoqué des débats sur la diversité. On a vu apparaître ou réapparaître des expressions comme « minorités visibles », « mixité sociale », « statistiques ethniques », « cv anonymes » et même « discrimination positive ». Le sort des jeunes diplômés issus des quartiers et incapables de trouver ne serait-ce qu’un stage en entreprise a été maintes fois évoqué. Quelques institutions éducatives, à l’image de Sciences-Po Paris, ont pris des mesures courageuses pour s’ouvrir à des jeunes qui en étaient exclus faute d’acquis et de bagages et culturels ou même faute de savoir que ces établissements existaient.

Mais l’élan s’est vite brisé et ce qui aurait dû constituer un grand projet national s’est dilué dans les effets d’annonce, la désinvolture et les calculs électoraux à court terme. L’idée qu’il existe en banlieue des forces vives capables de dynamiser la France, son économie comme sa société mais qu’elles sont reléguées et inexploitées n’est même plus discutée. Pire, elle est balayée d’une main par une partie de la classe politique qui ne voit dans les cités que des terrains propices à l’insécurité, au communautarisme, au djihadisme (la fameuse « cinquième colonne » chère à Christian Estrosi) et à l’économie souterraine.

A bien y regarder de près, on réalise, et cela a été écrit à plusieurs reprises dans cette chronique, que les seuls « gagnants » après les émeutes de 2005 sont quelques membres des minorités visibles que les partis politiques se sont dépêchés de mettre en avant pour se donner bonne conscience. Une aubaine pour les concernés choisis non pas pour leurs compétences mais uniquement pour leurs origines ou leur couleur de peau. Soyons plus précis. Les phrases qui précèdent doivent être réécrites et mises au féminin. En effet, la classe politique française, la droite comme la gauche, a fait quelques gestes vers les minorités visibles mais en privilégiant le plus souvent les femmes. Comme Zyed et Bouna, le mâle d’origine maghrébine ou subsaharienne demeure suspect. Quand la France du pouvoir accepte de ne plus être monochrome, c’est vers les femmes qu’elle se tourne. Une manière de ne pas choquer (de rassurer ?) l’électeur qui ne vote pas (encore) Front national mais qui trouve qu’il y a déjà trop d’étrangers en France…

Dans la persistance de la monochromie blanche, les médias sont aussi à blâmer. Certaines rédactions se sont ouvertes et ont fini par comprendre qu’elles se devaient de ressembler un peu à la société française mais la majorité restent blanches et bien blanches. Mais ce n’est peut-être pas le plus regrettable. En effet, la critique vaut surtout pour la manière dont est organisée la mise en scène de l’expertise. Au cours des derniers jours, on a entendu beaucoup de personnes originaires de la banlieue s’exprimer à propos des émeutes de 2005 et de leurs conséquences à ce jour. Saluons donc le fait que l’on soit sorti du stade où les principaux concernés n’avaient même pas à droit à la parole. Mais le vrai problème, c’est que sont encore rares, très rares, les Français d’origine maghrébine ou subsaharienne qui s’expriment sur d’autres sujets que la banlieue, l’islam, le voile (c’est une catégorie à part), la délinquance, le Proche-Orient ou le sport. A qui peut-on faire croire qu’il n’existe pas en 2015 de spécialiste d’origine marocaine ou ivoirienne capable de donner son avis sur la littérature américaine, la crise grecque ou le projet de traité de libre-échange entre l’Europe et les Etats-Unis ? A leur façon, les médias français continuent eux aussi de pratiquer une ségrégation qui ne fait que renforcer les préjugés à l’égard des minorités dites visibles. 
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lundi 2 novembre 2015

La chronique économique : La Chine, sa croissance et ses statistiques

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 21 octobre 2015
Akram Belkaïd, Paris

C’est l’interminable et constant feuilleton de l’économie mondiale. Où en est la Chine ? Lundi 19 octobre, le bureau national des statistiques à Pékin a dévoilé les chiffres de la croissance du Produit intérieur brut (PIB) pour le troisième trimestre. Le chiffre est tombé comme un couperet : +6,9%. C’est-à-dire quelques poussières en dessous de l’objectif officiel de 7%. En somme, rien de bouleversant. Le gouvernement chinois ne peut pavoiser en revendiquant un retour plus vigoureux de l’activité mais il peut aussi dire sa tranquillité puisque les performances de la deuxième économie du monde (ou la troisième selon les calculs) reste dans les clous.

Une croissance surévaluée ?

Sur les marchés internationaux, la nouvelle a été diversement commentée. Les uns se sont inquiétés de cette « stagnation », d’autres ont, au contraire, salué la « résistance » de l’économie chinoise. Plus discrets, certains analystes ont essayé de relativiser l’emprise immédiate de la statistique chinoise pour dégager des perspectives à moyen terme. Selon eux, Pékin ne peut pas accepter que le taux de croissance demeure aussi « moyen » en comparaison des performances passées (celles où la création de richesses dépassait les 10% de progression annuelle). Car, en Chine, plus qu’ailleurs, le taux de croissance fait partie du contrat entre pouvoir et peuple. D’un côté la richesse et donc les emplois et la réduction de la pauvreté. Et, de l’autre, la stabilité politique et l’acceptation de l’ordre imposé par le Parti communiste chinois.

Certes, comme le relève le célèbre artiste chinois Ai Weiwei en parlant de son pays « on ne peut pas développer un pays où l’on propose comme seul but aux gens de s’enrichir » (*), mais pour l’heure cela marche assez bien. Le problème risque d’apparaître si cette perspective de gagner de l’argent s’amenuise. Or, c’est ce qu’affirment certains experts. Pour eux, les statistiques chinoises sont mensongères et les taux de croissance annoncés ne sont pas réels. Ils seraient juste gonflés afin de ne pas inquiéter la population et de ne pas semer la panique sur les marchés locaux et internationaux. Pékin craint ainsi qu’une baisse de la croissance ne provoque une aggravation de la fuite de capitaux que subit la Chine actuellement.

Il reste à savoir de combien la croissance chinoise est surévaluée. Une lecture de la presse économique montre que la fourchette haute table sur un taux de 5% quand d’autres analystes n’hésitent pas à avancer le chiffre de 4% soit à peine plus que l’économie américaine. Pour mémoire, même quand la Chine annonçait des taux à deux chiffres, il s’est toujours trouvé des économistes pour les réviser à la baisse de plusieurs points. Le débat n’est donc pas nouveau. Et l’argument des sceptiques est toujours le même : quand on fait la somme des PIB de chaque province on arrive à un résultat différent du PIB national ! Une anomalie qui permet toutes les interprétations. Soit, les provinces gonflent leurs chiffres et le gouvernement central ajuste à la baisse. Soit, c’est l’inverse.

L’importance d’expertises multiples

Cette réalité illustre l’enjeu autour des organismes de statistiques. Si ces derniers sont sous le contrôle du pouvoir politique, les risques de manipulation sont importants. Dans le même temps, le cas de la Grèce et de ses chiffres maquillés, a montré que même un organisme indépendant voire un organisme régional peut se laisser abuser par des manipulations en amont. Du coup, c’est l’abondance de l’expertise, autrement dit l’existence de plusieurs sources d’analyse et de retraitement, qui peut faire la différence et permettre de se faire une idée objective de la situation. A condition que ces sources ne sombrent pas dans des comportements moutonniers comme c’est trop souvent le cas en matière d’analyse économique.

(*) L’Obs, 24 septembre 2015
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La chronique économique : Un Japon bien en peine

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 28 octobre 2015
Akram Belkaïd, Paris

Après les grandes espérances et le discours volontariste, c’est le retour à la réalité. Arrivé au pouvoir en 2012, le Premier ministre Shinzo Abe est loin d’avoir atteint son but, c’est-à-dire relancer une économie qui stagne depuis plus de deux décennies. Produit intérieur brut (PIB) en recul, inflation négative, consommation en berne, les fameux « Abenomics », autrement dit les réformes et mesures incitatives mises en place par le gouvernement japonais, n’ont pas conduit à un franc redémarrage.  

La force de l’épargne locale

En septembre dernier, l’Agence Standard & Poor’s a confirmé le diagnostic général en dégradant la note souveraine de l’Archipel de AA- à A+. Certes, cet abaissement est assorti à une perspective « stable », ce qui exclut toute dégradation à court terme, mais le message est clair. Personne ne croit le Japon capable de retrouver le chemin d’une forte croissance et d’une amélioration de ses comptes publics. Pour mémoire, le pays ne bénéficie plus du fameux triple A (AAA) depuis le début des années 2000. En prenant ses fonctions, Shinzo Abe n’avait pas promis que cette note serait récupérée mais il avait insisté sur l’engagement de son pays dans le cycle vertueux de la croissance couplée à un assainissement des finances publiques.

Pour l’heure, et c’est ce qui inquiète les agences de notation, la dette du pays demeure équivalente à 247% du PIB national. Dans de nombreuses autres nations, un tel niveau provoquerait des dégradations successives et un « rating » plus risqué. Mais le Japon, troisième économie mondiale, a un avantage majeur qui l’a mis à l’abri depuis des années. Il s’agit du niveau élevé de l’épargne locale (l’équivalent 10 315 milliards d’euros soit 2 fois et demi le PIB) couplé au fait que 90% de la dette publique japonaise est détenue par des Japonais. En clair, l’épargnant nippon croit en son pays et estime normal de financer le déficit budgétaire (7% du PIB en moyenne). Cette cohésion est donc fondamentale et exclut tout dérapage à court terme.

Mais la question est évidente. Que se passera-t-il si l’épargne locale diminue, notamment du fait du vieillissement accru de la population ? Que se passera-t-il aussi si le yen perd de sa valeur, dépréciant ainsi les avoirs des épargnants et érodant les réserves de change qui se situent actuellement autour de 10 315  milliards d’euros (soit plus de 50 fois les réserves algériennes) ? Selon les prévisions, le Japon sera obligé de se tourner vers les prêteurs étrangers à partir de 2020. Une perspective qui change la donne car le recours à la dette extérieure mettra Tokyo sous pression. Contrairement aux investisseurs locaux, les bailleurs extérieurs seront plus exigeants en matière d’évolution des comptes publics et le gouvernement devra consentir plus d’efforts en matière de baisse des dépenses (ou de hausse de la fiscalité).

Le recours à l’immigration reste tabou

Pour certains économistes, l’une des raisons essentielles de la stagnation japonaise n’est pas économique mais avant tout démographique. Dans un contexte de vieillissement continu de la population, la solution serait le recours à l’immigration. Outre le fait d’une revitalisation de la natalité, cela permettrait une hausse de l’activité, notamment d’une consommation mise à mal par la hausse récente de la TVA (elle est passée de 5% à 8%). Pour autant, ce recours à l’immigration demeure un tabou et une option inenvisageable par la classe politique japonaise. 
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