Voir la Croatie ou la Serbie jouer durant cette Coupe du
monde, c’est penser de manière inévitable à feu la Yougoslavie (1929-2003) et à
ce que fut son football flamboyant. Que de génération de footballeurs
talentueux, fantasques, souvent appelés les « Brésiliens de l’Europe » !
La Yougoslavie a gagné de nombreux titres chez les équipes de jeunes sans
pouvoir confirmer par la suite dans la catégorie des « A ». La faute
à la politique et aux rivalités entre les différentes nationalités qui
cohabitaient en son sein notamment les Serbes et les Croates.
Exemple lointain : En 1974, durant le mondial organisé
en RFA, l’équipe yougoslave de Dragan Džajić (Etoile rouge de Belgrade) et d’Ivica
Šurjak (Hajduk Split) termine le premier tour en tête de son groupe devant le
Brésil à qui elle a tenu tête (0-0) en match d’ouverture et après avoir donné une
fessée mémorable au Zaïre (9-0). Mais, par la suite, les rivalités de vestiaire
entre Serbes et Croates provoqueront le naufrage de l’équipe (trois défaites).
Bien plus tard, en 1992, tous les observateurs annonçaient que la Yougoslavie
serait championne d’Europe. Las, cette équipe (où ne jouaient déjà plus les
Croates et les Bosniens) fut exclue de la compétition en raison des sanctions
décidées par les Nations Unies contre Belgrade. La guerre civile avait déjà
commencé dans le pays longtemps dirigé par le maréchal Tito et le suicide d’une
nation, pour reprendre le célèbre titre d’un documentaire de la BBC sur ce
conflit, était inévitable.
Aujourd’hui, la Croatie, plus que la Serbie ou la Bosnie,
est l’héritière de ce jeu léché, très technique, parfois roublard, capable d’être
physique. Chaque année, des dizaines de joueurs croates, serbes ou bosniens
quittent leur pays, véritables produits d’exportation footballistique. C’est
simple, chaque grand club européen, ou presque, a son « ex-Yougoslave ».
Et le poids de l’histoire récente demeure. En septembre 2013, une rencontre
Serbie- Croatie se déroule à Belgrade dans une ambiance délétère faisant
resurgir le souvenir hideux des groupes de supporters ultras qui furent, chez
les Serbes notamment, le fer de lance des milices criminelles qui sévirent
durant la guerre civile. Quand il s’agit de l’ex-Yougoslavie, il est impossible
de séparer sport, histoire et politique.
Et il arrive que l’affaire se complique. Prenons le match de
ce vendredi soir avec la victoire de la Suisse contre la Serbie (2-1). Le
spectateur non-averti s’est certainement demandé pourquoi les supporters serbes
sifflaient avec tant d’insistance quelques joueurs suisses dont les deux
buteurs Granit Xhaka et, surtout, Xherdan Shaqiri. La raison est simple :
le premier est d’origine albanaise, le second d’origine kosovare. Deux ennemis
honnis de la grande Serbie… Shaqiri défraie même la chronique car l’une de ses
chaussures arbore un drapeau suisse et la seconde un drapeau du Kosovo… dont la
Serbie ne reconnaît pas l’indépendance. Il est évident que la joie de Xhaka et
Shaqiri après leurs buts allait au-delà des frontières suisses. Leur geste de célébration faisait ainsi référence à l'aigle du Kosovo. Polémiques à venir assurées ! Vendredi soir à
l’Arena Baltika de Kaliningrad, il n’y a pas que la Suisse qui a remporté le
match. Ce fut aussi une victoire de l’Albanie et du Kosovo.
Akram Belkaïd, vendredi 22 juin 2018
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