Le Quotidien d’Oran, jeudi 31 mai 2018
Akram Belkaïd, Paris
Commençons par le plus simple. L’homme est donc devenu un
héros. Mamoudou Gassama, jeune malien de 22 ans, sans-papiers arrivé en France
il y a six mois, a escaladé, au péril de sa vie, quatre étages d’un immeuble pour
sauver un jeune bambin accroché à la balustrade d’un balcon. Les images ont
fait le tour de la Toile et les commentaires se comptent par dizaines de
milliers. Dans une actualité lourde et orageuse, de telles images font du bien.
Elles redonnent confiance en l’humanité. Mais, bien entendu, tout ne pouvait
être parfait et les polémiques ont rapidement pris le dessus.
Signalons d’abord la flambée des inévitables opinions
complotistes. Quel que soit l’événement, il y aura toujours des plus
intelligents que d’autres, des plus malins, plus « aware » qui
sauront discerner « la » faille. Pourquoi les voisins qui observaient
la scène n’ont rien fait, se demandent-ils. Et où étaient les pompiers et leurs
échelles ? Et comment le gamin a-t-il pu résister autant de
temps ? Et comment se fait-il qu’il soit déjà tombé (d’un étage,
ndc) ? L’homme s’appelant Mamoudou, gageons aussi que certains spéléologues
du net, habitués du fait, ont plongé dans les profondeurs putrides des réseaux
pour chercher à en savoir plus sur l’intéressé, histoire éventuellement de
dénicher quelques tweets ou messages gênants.
Venons-en au plus important. Le président Emmanuel Macron a
décidé de régulariser Mamoudou Gassama. Mieux, il a déclaré l’avoir « invité à déposer une demande de
naturalisation. Car la France est une volonté, et M. Gassama a démontré avec
engagement qu’il l’avait. » On passera rapidement sur cette dernière
phrase qui ne veut pas dire grand-chose et qui est emblématique de la com’ présidentielle
techno-gloubiboulguesque. Et avant
d’aller plus loin, signalons que le ministre de l’intérieur Gérard Collomb
s’est dit prêt, quant à lui, à accélérer les procédures tandis que les
sapeurs-pompiers de Paris, un corps d’élite s’il en est, ont d’ores et déjà
accueilli Mamoudou Gassama, non pas comme recrue (il faut être militaire pour
cela) mais pour un « service civique ». Un « stage »,
diront les mauvaises langues car il faut bien qu’il en existe. (On passera
rapidement sur le propos d’un officier rappelant au héros que des militaires
français sont morts pour le Mali…).
La récompense présidentielle - qui a tout de même rendu
Rihanna heureuse (si, si, je vous l’assure, c’est la radio qui l’a annoncé) - a
immédiatement déclenché des polémiques. « Récupération éhontée »,
« hypocrisie », « manœuvre politicienne » la liste des
reproches est longue. Elle pointe du doigt un gouvernement qui ne fait pas
grand-chose pour les migrants, qui réprime ceux qui leur viennent en aide et
qui se donne ainsi bonne conscience avec la régularisation et la prochaine
naturalisation de l’intéressé.
C’est vrai que ce gouvernement ne vaut guère mieux que ses
prédécesseurs en matière de politique répressive à l’égard des réfugiés, des
migrants et des sans-papiers. Par certains aspects, il est même pire quand on
considère les dispositions relatives à la rétention de mineurs. Souvenons-nous
aussi que la présidence française ne se distingue guère sur la question des
réfugiés syriens ou de celle des drames qui se déroulent quotidiennement ou
presque en Méditerranée. Pour autant, Macron n’avait pas le choix. Le moins
qu’il pouvait faire était de régulariser le héros. Une carte de séjour pour
faits exceptionnels. La Mairie de Paris aurait pu se joindre à la fête en
faisant de Mamoudou Gassama un citoyen d’honneur et, qui sait, en lui
attribuant un logement plus décent que celui qu’il occupe actuellement dans un
foyer en banlieue. Imaginons juste une seconde que le gouvernement ne fasse
rien. Ou que, pire, il renvoie le héros à Bamako au nom d’un respect absolu de
la loi… Le tintamarre aurait été bien plus puissant. Va donc pour la régularisation.
Mais il a fallu qu’Emmanuel Macron évoque la naturalisation
de Mamoudou Gassama. Peut-être que ce dernier souhaite devenir citoyen
français. Peut-être même l’a-t-il expliqué lors de son entrevue avec le chef de
l’Etat. Le problème c’est la manière paternaliste (néocoloniale ?) dont
cela a été présenté. Accorder une naturalisation, est-ce une récompense ? Faut-il
donc se conduire en héros pour être digne d’être citoyen français ou même de
pouvoir vivre normalement dans ce pays ?
Macron aurait pu accorder la régularisation et simplement
dire qu’il a encouragé le bénéficiaire à envisager de devenir citoyen français
et cela au nom du fait que la politique d’accueil est destinée, in fine, à accorder la nationalité aux
résidents étrangers en situation régulière. Mais là, le terrain aurait été trop
glissant. De quoi réveiller les vigies maugréantes du grand remplacement. Pour
Macron, mieux vaut présenter la naturalisation comme une espèce de récompense
suprême, une exception, un graal réservé aux plus méritants. Aux héros. A ce
sujet, on terminera par rappeler une idée souvent exprimée dans cette
chronique. Mamoudou Gassama n’avait pas besoin de sauver un gamin au bord du
vide pour être considéré comme un héros. Il l’était déjà. Quelqu’un qui traverse
le Sahara, qui passe par la Libye et ses camps où les Subsahariens sont battus
et rançonnés, qui s’embarque sur un rafiot pour gagner la rive nord de la
Méditerranée sans rejoindre au fond les milliers de damnés qui s’y sont noyés,
cet homme-là est déjà un héros. Il n’est pas le seul, et comme lui, ses pairs
sans-papiers méritent d’être régularisés.
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