Le Quotidien d’Oran, jeudi 24 mai 2018
Akram Belkaïd, Paris
C’est un article particulièrement intéressant
que vient de livrer le chercheur Nicolas Dot-Pouillard au site OrientXXI (*).
Il s’agit d’une analyse tirant les diverses leçons des récentes élections
législatives qui ont eu lieu au Liban. On sait que, vu d’Occident, le principal
commentaire a été de relever avec insistance que le Hezbollah et ses alliés ont
remporté le scrutin (25 sièges). De quoi sérieusement agacer les États Unis,
Israël, l’Arabie Saoudite, Bahreïn et les Émirats arabes unis (écrire les monarchies
du Golfe aurait été erroné car les trois autres – Koweït, Qatar et Oman -
demeurent plus ou moins en retrait) qui n’ont de cesse de fustiger ce parti. Et
de quoi alimenter aussi les spéculations sur de prochaines tentatives de
déstabilisation menées par Washington contre cette formation alliée de l’Iran,
mais ceci est une autre histoire.
L’article en question ne se contente pas
d’aborder la victoire du Hezbollah. Il pointe aussi la montée en puissance des
Forces libanaises de Samir Geagea au sein de la communauté chrétienne. Certes,
le Courant patriotique libre (CPL) de Michel Aoun reste « la première formation chrétienne » mais les FL passent de 8 à 16
sièges quand les Kataeb (Phalanges) n’en détiennent plus que 3 (contre 5
auparavant). Les lignes bougent un peu entre les grandes formations politiques
du pays du Cèdre comme en témoigne la percée du Hezbollah au sein de
l’électorat sunnite, mais, là aussi, c’est une autre histoire.
Au-delà de ça, l’article relève que les
listes électorales se revendiquant de la « société civile » ont eue du mal à s’imposer
même si elles ont eu le mérite de poser des jalons pour l’avenir. L’auteur note
ainsi qu’il n’y a pas eu de « percée
significative de listes opposées au système confessionnel libanais ».
Depuis plusieurs années, le Liban a pourtant vu naître de nombreux mouvements
citoyens alimentés par la colère contre le système communautariste et
l’inefficacité de l’État. On a d’ailleurs pensé que la crise des ordures de
l’été 2015 allait être le catalyseur provoquant une dynamique d’envergure
susceptible de « déconfessionnaliser » la vie politique locale. Il
n’en a rien été.
Au Liban, comme dans bon nombre de pays
arabes, le concept de « société civile » reste encore flou et à du
mal à se traduire en tendances partisanes. C’est un fait, ici et là, des
initiatives émergent, destinées à suppléer des appareils étatiques inopérants,
corrompus ou autoritaristes. D’ailleurs, les grands donateurs internationaux,
Banque mondiale en tête mais aussi les fondations américaines ou européennes,
sont sans cesse en quête de cette société civile qui pourrait constituer un
facteur de changement. On l’a bien vu après les printemps de 2011. A chacun son
ONG locale… A chacun son projet à financer : droits des femmes, genre,
liberté de la presse, vie associative, gestion municipale…
On connaît d’ailleurs l’effet pervers de cet
empressement occidental à l’égard de ces initiatives que les plus optimistes
qualifieront de briques nécessaires pour établir un État de droit. D’abord,
certaines d’entre elles n’ont que peu d’ancrage dans le réel et leur naissance
relève plus d’une démarche opportuniste. Ensuite, les pouvoirs en place ne
tolèrent ces organisations que si elles n’empiètent pas sur le domaine
politique. Au Liban, relève Dot-Pouillard, des candidats de listes citoyennes
ont dû composer avec un verrouillage de la carte électorale et faire face à des
intimidations sans oublier leur incapacité financière à assumer les importantes
dépenses de campagnes, notamment les spots télévisés. La question des
ressources est posée partout dans le monde arabe où des liens avec des
donateurs étrangers exposent à des représailles. Ainsi, en Égypte, comme en
Arabie saoudite ou même en Algérie, il quasiment interdit à toute démarche
citoyenne d’agir avec l’appui – surtout financier – d’ONG étrangères aussi
connues et honorables soient-elles.
Dans un contexte de reflux des libertés et
des droits démocratiques dans un monde arabe en bien piteux état, reposer la
question de la définition même de la société civile et de son rôle dans un
éventuel changement est nécessaire à toute réflexion sur cette région du monde.
L’idée, simpliste il faut bien en convenir, que cette société civile prendrait
le pas sur des systèmes politiques défaillants mais accrochés au pouvoir a
vécu. Non, les sociétés civiles n’ont pas réussi à transformer la tentative de
2011. L’exemple le plus frappant est celui de l’Égypte où la répression menée
par le bikbachi Sissi est bien plus large (elle ne concerne pas que les Frères
musulmans) et bien plus dévastatrices (car bien plus féroce que sous Moubarak)
qu’on ne le croit.
Le cas libanais nous apprend aussi que les
réseaux sociaux n’ont eu guère d’influence face aux télévisions. Là aussi, cela
oblige à relativiser certaines idées reçues. Une campagne de mobilisation peut
naître sur Internet. Elle peut pousser les citoyens à se réunir pour protester
contre les montagnes d’immondices qui entourent Beyrouth ou pour lancer un mot
d’ordre efficace de boycottage des consommateurs contre des produits jugés trop
onéreux comme c’est le cas au Maroc. Mais comment faire pour transformer tout
cela en mouvement politique cohérent et efficace ? On aura beau dire, beau
faire, cela passera toujours par la création d’un parti politique aux
orientations clairement définies. Ce qui renvoie à la case départ de
l’inévitable confrontation avec le pouvoir en place.
(*) Les
élections libanaises au prisme des conflits régionaux, orientxxi.info, 22
mai 2018.
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