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"En fin de compte, l'homme n'est que le produit de son temps. Parfois, le siècle trouve son représentant en la personne d'un seul individu qui en résume le meilleur et le pire."
Gamal Ghitany, (grand) écrivain égyptien qui vient de disparaître, in "Zayni Barakat".
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Blog au fil des jours, quand la chose et l'écriture sont possibles.
Lignes quotidiennes
lundi 26 octobre 2015
samedi 24 octobre 2015
La chronique du blédard : La Palestine et son occupation coloniale
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Le Quotidien d’Oran, jeudi 23 octobre 2015
Akram Belkaïd, Paris
Le Quotidien d’Oran, jeudi 23 octobre 2015
Akram Belkaïd, Paris
L’affaire
devrait être entendue tant elle est évidente. Les violences qui se déroulent
aujourd’hui à Jérusalem et dans les Territoires Palestiniens occupés ou
contrôlés par Israël sont incontestablement liées à cette occupation. Et le
plus étonnant c’est que cette flambée n’arrive que maintenant. Pour dire les
choses simplement, le peuple palestinien n’en peut plus d’être privé de ses
droits les plus élémentaires. Il n’en peut plus d’être humilié quotidiennement
et de ne pas voir son sort s’améliorer. Vingt-deux ans après les accords
d’Oslo, le processus de paix est enterré et aucune perspective ne se dégage pour
lui dans le ciel noir d’un Proche-Orient en proie à de multiples conflits.
Dans
les multiples analyses que l’on peut lire dans la presse occidentale, notamment
française, se déploie une campagne insidieuse qui cherche à disqualifier la
révolte palestinienne. Et la méthode employée doit être dénoncée. D’abord, les
attaques au couteau ou, plus rarement, à la voiture-bélier, sont mises dans le
même sac que les manifestations quotidiennes de la jeunesse palestinienne face
aux militaires israéliens. Ainsi, on installe dans l’imaginaire occidental
l’idée qu’il ne s’agit que d’attaques sanglantes contre des juifs. L’intention
est claire, le fait d’insister sur l’usage de la violence discrédite la
revendication politique et la dénonciation de la colonisation.
Ensuite,
et c’est le plus important, il y a une tentative manifeste de répandre la thèse
selon laquelle les motivations réelles de la contestation ne sont pas
politiques mais religieuses. Autrement dit, ce n’est pas le maintien d’une
présence militaire et policière israélienne en Cisjordanie, ni l’essor continuel
de la colonisation ni encore moins les attaques que subissent les villages
palestiniens isolés de la part de colons (lesquels jouissent d’une totale
impunité) qui serait la source de cette colère. Non, on nous explique que c’est
un conflit désormais religieux où les musulmans, comprendre les Palestiniens,
ont décidé de s’attaquer aux juifs, comprendre les Israéliens. Pourquoi
maintenant ? Eh bien, ce serait parce que les musulmans auraient décidé de
défendre coûte que coûte la mosquée d’Al-Aqsa – à laquelle les neuf-dixièmes
des Palestiniens qui vivent en Cisjordanie ou à Gaza n’ont pas accès, il faut
le rappeler – contre une tentative de contrôle accru du Mont du Temple par les
autorités israéliennes.
La
mise en avant de l’aspect religieux pour caractériser la colère palestinienne
n’est pas nouvelle. En 2000, déjà, c’est ce que les partisans d’Israël avaient
avancé lors de la seconde intifada. Les manifestants palestiniens, d’hier et
d’aujourd’hui ont beau réclamer leur terre, le retrait israélien des
territoires occupés et le démantèlement des colonies – illégales selon le droit
international, il faut, là aussi, le rappeler – c’est donc la piste de
l’effervescence religieuse qui est retenue. Pourquoi ? La réponse est
évidente.
Ramener
la question israélo-palestinienne au religieux c’est faire passer au second
plan le fait colonial. C’est occulter cette occupation illégale qui engendre
injustices et drames pour les Palestiniens. Dans un monde où l’islam a mauvaise
presse ne serait-ce qu’en raison des atrocités commises par le groupe de l’Etat
islamique (EI) et d’autres organisations djihadistes, ramener la contestation
palestinienne sur le terrain du religieux, c’est chercher à la discréditer sur
le plan international. Daech et les jeunes lanceurs de pierres, ce serait donc
la même chose… Pour Israël et ses partisans, on comprend l’utilité (et
l’urgence) de cet amalgame quand on sait que les appels récurrents au
boycottage des produits issus des colonies israélienne voire de l’Etat hébreu ne
cessent de gagner en audience dans le monde entier.
Reste
enfin l’argument suprême qui entend fustiger la protestation palestinienne (et
ceux qui ont de la sympathie pour elle). Les Palestiniens, comme le majorité
des Arabes, continueraient à ne pas accepter l’existence d’Israël et
chercheraient encore à détruire cet Etat. Or, cette affirmation ne résiste pas
à l’examen des faits. D’abord, Israël existe et nombre de pays arabes
entretiennent des relations officielles ou, c’est plus fréquent, officieuses
avec ce pays. Ensuite, depuis 1973, aucun pays arabe n’a attaqué Israël
(qui ne s’est pas gêné pour envahir le Liban à plusieurs reprises). Il est
temps que les partisans d’Israël admettent que les Arabes comme les
Palestiniens ont tourné la page. Appelons-ça de la résignation, du renoncement,
du pragmatisme ou du réalisme mature : le résultat est le même : le
temps des slogans tels que « mort à Israël » ou « les Juifs à la
mer » est bel et bien révolu.
Par
contre, ce qui n’existe toujours pas, ce qui ne cesse d’être renvoyé aux
calendes grecques, ce qu’Israël refuse encore et encore de voir apparaître,
c’est bien l’Etat palestinien. Nombre d’experts qui connaissent bien la région affirment
même qu’il n’y aura jamais de solution à « deux Etats ». Le panorama
est donc bien moins compliqué qu’on ne le dit. D’un côté, un Etat reconnu sur
le plan international, une armée puissante, un arsenal nucléaire, des citoyens
qui peuvent aller et venir où bon leur semble, en Israël comme ailleurs dans le
monde (exception faite de nombreux pays arabes). De l’autre, un peuple sans
pays, sans passeport, confiné un jour, parqué le lendemain, qui sait très bien
que l’objectif à long terme est de le maintenir dans cet état de servitude ou,
à défaut, de le faire partir ailleurs. La question israélo-palestinienne est
d’ordre colonial. Chercher à faire croire le contraire, c’est être partisan
d’un statu quo qui fait les affaires (à court terme) d’Israël.
Dans
ce contexte, il n’est guère étonnant de voir le premier ministre Netanyahou
dédouaner Hitler qui, selon lui, n’aurait décidé d’exterminer les juifs que
parce que le Mohamed al-Hussein, mufti de Jérusalem (qu’il n’a rencontré qu’en
novembre 1941…) le lui aurait suggéré ( !). Voilà donc les Palestiniens
accusés d’être à l’origine de la Shoah… Une manœuvre minable qui reprend un
autre mot d’ordre : « les Palestiniens sont pire qu’Hitler ». A
vomir…
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mardi 20 octobre 2015
A propos de L'Etranger de Camus
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Extrait de la préface de l'universitaire algérien Taïeb Bouguerra à l'édition algérienne (Enag, 1988) de L'Etranger d'Albert Camus.
" Si le thème de l’Absurde donne à l’œuvre son caractère philosophique et moral, l’ancrage spatio-temporel du texte dans le contexte colonial autant que l’armature romanesque (le face à face colonisateur – colonisé et le meurtre de ce dernier) confèrent à l’ouvrage sa dimension idéologique et autorisent une « lecture politique ». On a pu ainsi faire remarquer que si l’Algérie est présente dans l’univers camusien comme « décor », les Algériens par contre sont systématiquement biffés du paysage. Cet « étranger » qui se fait assassiner par Meursault n’a ni nom, ni visage, ni histoire. Il est identifié par l’expression généralisante « l’Arabe » ou par la « il colonial » qui refuse de nommer, l’Autre, qui ravale le colonisé au rang d’ilote. L’Algérien n’a aucune épaisseur psychologique, aucune pesanteur sociale. Présence rappelée comme un spectre qu’on agite, une menace diffuse, le discours camusien conjure également, mythiquement, la parole des Algériens.
Par ailleurs, la confrontation texte-contexte impose à l’évidence l’« absurdité » du châtiment infligé à Meursault. Dire, en contexte colonial, qu’un Français d’Algérie a été condamné à mort pour le meurtre d’un Algérien (impliqué dans une affaire de mœurs, armé de surcroît d’un couteau et auteur d’une agression sur la personne d’un Européen), c’est dire sur le mode implicite que la justice coloniale est impartiale. L’allocution que porte le texte n’est donc pas la narrativisation d’un donné romanesque mais d’un donné idéologique. L’Etranger ou la volonté d’accréditer dans la fiction, le mythe de l’impartialité de la justice coloniale n’est-il pas aussi la confession sur le mode tragique d’un profond sentiment de culpabilité historique? "
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La chronique économique : Un prix pour le bon sens
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 14 octobre 2015
Akram Belkaïd, Paris
Il arrive parfois que les sciences économiques fassent entrer en concordance leur ésotérisme mathématique et le bon sens... Cette année, c’est d’ailleurs ce dernier que vient de récompenser le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel. Un prix que, par un raccourci regrettable (on le répète chaque année), on continue de désigner par l’expression fausse de Prix Nobel d’Economie (Le « vrai » prix Nobel, décerné en Norvège, ne récompense que la médecine, la littérature, la physique, la chimie et la paix).
La croissance ne garantit pas le développement
Cette année, le Prix des sciences économiques a été attribué à Angus Deaton. Enseignant à l’université de Princeton, cet américano-britannique de 69 ans (il est né en Ecosse) a été récompensé pour ses travaux sur « l’analyse de la consommation, de la pauvreté et du bien-être ». D’une certaine manière, les travaux de Deaton tendent à remettre en cause nombre d’idées défendues par les grandes organisations internationales et les tenants du consensus néolibéral. Ainsi, il a pointé un élément fondamental concernant la croissance du Produit intérieur brut (PIB). Qu’on le veuille ou non, cette dernière, même si elle est forte, ne suffit pas toujours à juguler la pauvreté ou à faire sortir du sous-développement. Cela fait des années que cette réalité est connue, notamment en Afrique où la croissance ne crée que des poches de développement (d’où l’émergence du concept de « croissance inclusive », autrement dit qui concerne tout le monde). Angus Deaton a aussi beaucoup travaillé sur l’Inde et relevé que l’accroissement des richesses n’y résout pas tout.
De même, ses travaux rappellent qu’il serait illusoire de rattraper plusieurs siècles de sous-développement ou, plus encore, de retard de développement. De manière explicite, cela repose la question de l’efficacité de l’aide internationale qui, trop souvent, ne contribue qu’à maintenir ses bénéficiaires à flot sans pour autant les engager dans un cycle de transformation structurelle. Pour être clair et ne pas ouvrir la voie à d’autres interprétations, il ne s’agit pas de ne plus donner mais bien de donner plus pour créer les conditions du développement. Et ce « plus » passe par le capital humain. Des domaines comme la santé, autrement dit le prix des médicaments et des installations sanitaires et de l’éducation soit la formation de cadres, y compris à l’étranger, sont jugées prioritaires par Angus Deaton. A ce titre, ce dernier est favorable à une plus grande souplesse en matière de circulations migratoires, estimant que les jeunes diplômés qui rentrent dans leurs pays peuvent aider à son développement.
Quand revenus et bien-être divergent
Par ailleurs, les travaux de l’économiste sur le bien-être méritent d’être signalés dans un monde où l’on confond trop souvent richesse et bonheur. Certes, l’économiste ne nie pas que l’argent est nécessaire et ses travaux montrent que le bien-être croit avec la richesse. Mais ils prouvent aussi que ce n’est vrai que jusqu’à un certain point. Ainsi, dans les sociétés riches, la courbe du bonheur en fonction des revenus devient plate après 75.000 dollars de ressources annuelles. A partir de là, d’autres facteurs entrent en jeu qui conditionnent le bien-être dont ces fameux éléments non-quantifiables (générosité, rôle social, philanthropie, bénévolat…). Mais il ne faut pas oublier non plus l’existence de certaines caractéristiques humaines comme cette insatisfaction qui peut naître du fait que l’on n’arrive pas à gagner plus que celui qui a la même rémunération…
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lundi 19 octobre 2015
Ai Weiwei à propos de la nature du pouvoir chinois
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Extraits d’un entretien accordé par l’artiste chinois à L’Obs (24 septembre 2015)
Extraits d’un entretien accordé par l’artiste chinois à L’Obs (24 septembre 2015)
L’Obs.- Vous n’aimez pas être présenté comme un dissident…
Ai Weiwei.- J’ai toujours dit et répété que je n’étais
pas un artiste dissident. Je considère que c’est le gouvernement chinois qui
est un gouvernement dissident. Voilà ma position. Je souhaite que la situation
change en Chine, même si actuellement tout est fait pour qu’elle ne change pas.
Seules les sociétés où la liberté existe peuvent générer des valeurs communes
fondées sur l’imagination, la créativité, l’échange. On ne peut pas développer
un pays où l’on propose comme seul but aux gens de s’enrichir. Gagner de l’argent,
ce n’est pas donner un sens à la vie.
L’Obs.- Considérez-vous que la Chine est un pays
communiste ?
Ai Weiwei.- La Chine est dirigée par le Parti communiste,
mais elle n’est pas du tout communiste. D’ailleurs, plus personne ne sait ce
que signifie ce mot. De fait, le gouvernement est une structure qui ne vit que
par elle-même, avec ses luttes de clans, de pouvoir. Même si elle maintient une
chape de plomb sur le pays, elle n’en est pas moins fragile, parce que cette
structure ne nourrit aucune croyance, aucun idéal.
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jeudi 15 octobre 2015
A propos du "vivre ensemble" à Jérusalem
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À Jérusalem, Juifs et Arabes ne vivent pas "ensemble". Il y a un peuple qui a tous les droits et un autre qui vit une situation d'occupation et d'asservissement colonial. Donc, l'idée même d'une cohabitation qui aurait existé avant les attaques aux couteaux est fallacieuse.
On pourra parler de "vivre ensemble" quand les Palestiniens (sans oublier les Arabes de nationalité israélienne) auront les mêmes droits que les Israéliens.
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À Jérusalem, Juifs et Arabes ne vivent pas "ensemble". Il y a un peuple qui a tous les droits et un autre qui vit une situation d'occupation et d'asservissement colonial. Donc, l'idée même d'une cohabitation qui aurait existé avant les attaques aux couteaux est fallacieuse.
On pourra parler de "vivre ensemble" quand les Palestiniens (sans oublier les Arabes de nationalité israélienne) auront les mêmes droits que les Israéliens.
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mercredi 14 octobre 2015
Les Prépondérants de Hédi Kaddour (extraits)
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(La scène se déroule vers 1922, sur un navire reliant la
Tunisie à la France).
Sur le bateau, Raouf était l'un des rares Maghrébins à
voyager en première classe, et le seul à ne pas porter la djellaba ; on le
regardait comme une curiosité, un indigène habillé à l'européenne c'est
quelqu'un qui ne joue pas le jeu. « Vos compatriotes n’acceptent pas que
je sois en complet gris, avait-il dit à Ganthier, ils sont plus aimables avec
les deux vieux en burnous, j’ai même entendu une femme dire qu’elle les
trouvait plus beaux là-dedans que
dans un costume occidental. »
Ganthier répondant : « Les Français n’aiment
pas qu’on les imite.
- C’est plutôt qu’ils n’aiment pas qu’on les rattrape.
- Ça n’est pas une question d’imitation ou de rattrapage…
ils sentent qu’ensuite vous ne voudrez plus d’eux… »
(Une équipe américaine de cinéma s'est installée pour un tournage dans une ville du sud de la Tunisie).
Elles [des Américaines invitées par des Françaises] montrèrent qu'elles savaient prendre un thé entre gens de bonne compagnie, soutenir une conversation dans un français sans fautes et rester assises sur le bord de leur chaise pendant que Mme Doly leur expliquait ce que voulait dire le mot "Prépondérants", c'est très simple, nous sommes beaucoup plus civilisés que tous ces indigènes, nous pensons beaucoup plus, donc nous avons le devoir de les diriger, pour très longtemps, car ils sont très lents, et nous nous groupons pour le faire du mieux possible, nous sommes l'association, l'organisation la plus puissante du pays !"
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lundi 12 octobre 2015
Gozlan et son paternalisme
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Ma chronique à propos du dernier roman de Boualem Sansal n'a pas eu l'heur de plaire à Martine Gozlan, rédactrice en chef de l'hebdomadaire Marianne et "spécialiste" du monde arabo-musulman... Sur une colonne, elle estime que cette chronique "aussi faiblement écrite que pensée" relève, entre autre, de la "hargne" et de la "jalousie" à l'égard d'un auteur qu'elle semble - cela n'étonnera personne - particulièrement apprécier.
Relevons la qualité plus que douteuse de l'argument avancé. La "hargne" et la "jalousie" présentées comme sources de motivation de ma chronique. Une manière de voir paternaliste, pour ne pas dire autre chose. Pour Gozlan, un journaliste algérien qui critique Sansal ne peut être objectif. Qui sait, peut-être même pense-t-elle qu'il est incapable de réfléchir (et qu'il attend certainement que Gozlan lui indique ce qu'il doit penser et écrire). Fumet pestilentiel... Que voulez-vous ma p'tite dame, "ils" sont comme ça, incapables de se faire le moindre cadeau, toujours à se jalouser pour mériter nos bonnes grâces... Ah, oui, bien sûr, il y en a qui sont très bien. Oh, ils ne sont pas nombreux mais ils sont âaadmirââbles. D'ailleurs, ce sont eux que les autres détestent... Forcément, ils pensent comme nous !
"Ressemblons-leur : c'est le moyen d'avoir la paix" a écrit Julien Green. Pour ma part, je n'ai pas envie de ressembler à ceux auxquels Gozlan accorde son crédit. Je serai très content pour Sansal s'il obtient tous les prix littéraires possibles à commencer par le Goncourt. Mais cela ne m'empêchera pas de continuer de penser que son sujet, l'islamisme comme futur Big Brother planétaire, procède de cet enfumage qui fait perdre de vue les vrais sujets d'inquiétude pour les temps qui s'annoncent.
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Ma chronique à propos du dernier roman de Boualem Sansal n'a pas eu l'heur de plaire à Martine Gozlan, rédactrice en chef de l'hebdomadaire Marianne et "spécialiste" du monde arabo-musulman... Sur une colonne, elle estime que cette chronique "aussi faiblement écrite que pensée" relève, entre autre, de la "hargne" et de la "jalousie" à l'égard d'un auteur qu'elle semble - cela n'étonnera personne - particulièrement apprécier.
Relevons la qualité plus que douteuse de l'argument avancé. La "hargne" et la "jalousie" présentées comme sources de motivation de ma chronique. Une manière de voir paternaliste, pour ne pas dire autre chose. Pour Gozlan, un journaliste algérien qui critique Sansal ne peut être objectif. Qui sait, peut-être même pense-t-elle qu'il est incapable de réfléchir (et qu'il attend certainement que Gozlan lui indique ce qu'il doit penser et écrire). Fumet pestilentiel... Que voulez-vous ma p'tite dame, "ils" sont comme ça, incapables de se faire le moindre cadeau, toujours à se jalouser pour mériter nos bonnes grâces... Ah, oui, bien sûr, il y en a qui sont très bien. Oh, ils ne sont pas nombreux mais ils sont âaadmirââbles. D'ailleurs, ce sont eux que les autres détestent... Forcément, ils pensent comme nous !
"Ressemblons-leur : c'est le moyen d'avoir la paix" a écrit Julien Green. Pour ma part, je n'ai pas envie de ressembler à ceux auxquels Gozlan accorde son crédit. Je serai très content pour Sansal s'il obtient tous les prix littéraires possibles à commencer par le Goncourt. Mais cela ne m'empêchera pas de continuer de penser que son sujet, l'islamisme comme futur Big Brother planétaire, procède de cet enfumage qui fait perdre de vue les vrais sujets d'inquiétude pour les temps qui s'annoncent.
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La chronique économique : L’Amérique met le cap sur l’Asie
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Le Quotidien d'Oran, mercredi 7 octobre 2015
Akram Belkaïd, Paris
Barack Obama dans les pas de Bill Clinton… Dans quelques mois, lorsqu’arrivera le terme du second mandat de l’actuel président américain, de nombreux commentateurs dresseront son bilan et il est possible qu’ils le comparent à celui de Bill Clinton, président de 1992 à 2000. Et s’ils cherchent un élément commun, il est fort possible qu’il réside dans la question des accords commerciaux signés par les Etats-Unis. En effet, l’administration Obama vient de mener à son terme les négociations pour la conclusion du Partenariat Transpacifique (TPP). Ce dernier concerne 12 pays (États-Unis, Canada, Mexique, Chili, Pérou, Japon, Malaisie, Vietnam, Singapour, Brunei, Australie et Nouvelle-Zélande) dont les échanges représentent les deux cinquièmes du commerce mondial.
Le soutien des républicains
Dans les faits, cet accord harmonise les normes des pays concernés et abaisse les droits de douanes afin de faciliter les échanges. Selon les premiers éléments disponibles, il implique un plus grand respect de la propriété intellectuelle (ce qui devrait ravir les éditeurs de logiciels américains très piratés en Asie) et la levée des restrictions quant à l’usage d’Internet. Le TPP prévoit aussi l’interdiction des trafics d’animaux sauvages et aborde aussi la lutte contre quelques abus environnementaux. Au total, ce sont 18 000 droits de douane auxquels étaient assujetties les exportations américaines en direction de ses 11 partenaires dans des secteurs comme la machine-outil, les technologies de l’information, la chimie ou les produits agricoles, qui sont levés.
Ce n’est qu’en janvier 2016 que le Congrès américain doit entériner le TPP mais il est plus que probable que l’administration Obama fera voter le texte. En effet, comme pour Bill Clinton avec l’accord de libre-échange nord américain (Alena) négocié en 1994, le président démocrate pourra compter sur le vote d’élus républicains dont la famille politique est traditionnellement favorable au libre-échange. Cela ne se sera pas inutile car de nombreux élus démocrates n’ont pas manqué de manifester leur hostilité au TPP. Certes, la Maison-Blanche a beau jeu de mettre en avant le fait que cet accord va obliger des pays comme le Vietnam, la Malaisie ou Brunei à améliorer leur droit du travail. Pour autant, la gauche américaine dénonce d’ores et déjà une nouvelle trahison.
En 1994, la centrale syndicale AFL-CIO, soutien traditionnel du Parti démocrate, avait dénoncé l’Alena comme une menace majeure contre l’emploi aux Etats Unis. Aujourd’hui, elle estime qu’il a détruit plus de 700.000 emplois et contribué à accélérer la désindustrialisation de l’Amérique. Il ne fait nul doute que ces reproches vont se reproduire à l’encontre du TPP et donc peser sur la campagne pour l’élection présidentielle de 2016. Bernie Sanders, le principal adversaire d’Hillary Clinton pour la primaire démocrate pour ce scrutin a ainsi estimé que le TPP est une victoire pour Wall Street. Même l’industrie américaine, à l’image du constructeur Ford, s’est élevée contre un accord qui saperait sa compétitivité.
Un levier contre la Chine
Il reste que les chances de retour en arrière de l’administration américaine sont faibles. Barack Obama tient à cet accord dont l’implication en matière de politique étrangère est immense. En effet, le TPP représente pour Washington un levier d’importance pour contenir l’expansion commerciale et économique de la Chine en Asie. C’est une manière de créer une zone d’échanges dont Pékin serait exclu. En la matière, les Etats Unis viennent donc de réaffirmer que l’Asie demeure leur zone d’influence. Il y a quelques mois, la Chine avait frappé un grand coup en lançant une banque régionale pour le financement d’infrastructures. La réponse américaine n’a pas tardé et le grand jeu asiatique entre les deux puissances ne fait que commencer.
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vendredi 9 octobre 2015
La chronique du blédard : Syrie, que dire ?
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Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 octobre 2015
Akram Belkaïd, Paris
C’est un dilemme qui divise et oppose. Quelle attitude
adopter vis-à-vis de ce qui se passe en Syrie ? Si la solidarité
humanitaire est évidente (obligatoire), la question politique, elle, provoque
gênes et silences. Ou bien alors, elle génère des avis tranchés pour ne pas
dire définitifs ce qui limite le champ de la discussion et de l’échange. La
Syrie, disons-le, est à l’origine de ruptures et de grandes discordes. A dire
vrai, le problème paraît insoluble. Non, corrigeons cette affirmation. Il ne
présente que des solutions imparfaites, inacceptables si l’on s’en tient à la
morale et à l’éthique et si l’on met de côté tout cynisme ou, pour être moins
abrupt, tout pragmatisme. La question tourne surtout autour du sort de Bachar
al-Assad. Ainsi, nombreux sont ceux qui continuent de le défendre avec plus ou
moins de nuances et cela au nom du respect du droit international et de
l’anti-impérialisme.
Il est vrai qu’Assad est le président en titre de
la Syrie et cela quelles que soient les conditions dans lesquelles il a été élu
(ou dans lesquelles il a hérité de son pouvoir). Ses défenseurs ont beau jeu
d’affirmer que la légitimité internationale est de son côté quand il fustige
l’intervention d’une coalition étrangère sur son sol, cette dernière agissant,
il faut le rappeler, sans aucun mandat ni feu vert des Nations Unies. Qu’on le
veuille ou non, les pays qui bombardent actuellement la Syrie au nom de la
lutte contre le groupe Etat islamique (EI) sont dans l’illégalité (même si elles
avancent l’argument de la légitime défense). On peut dire que c’est la faute de
la Russie (sans oublier la Chine) qui refuse tout accord en ce sens au sein du
Conseil de sécurité mais la réalité est bien là. Douze ans après une
intervention militaire illégale en Irak car non approuvée par l’ONU, les pays
occidentaux renouent avec ce qui n’est rien d’autre qu’une politique de la
canonnière, fut-elle motivée par de bonnes intentions, c’est-à-dire lutter
contre une organisation terroriste coupable de nombreuses exactions.
A l’inverse, et pour continuer dans la même veine,
on peut dire aussi que l’intervention militaire russe est légale puisqu’elle se
fait à l’appel et avec l’aval du gouvernement syrien – lequel, il faut le
rappeler, reste reconnu par une bonne partie des membres de l’ONU. Enfin, Assad
est aussi présenté comme le dernier rempart face au pire, c’est-à-dire une
Syrie – ou ce qu’il en resterait – dirigée par des mouvements islamistes
sunnites auprès desquels les Talibans passeraient pour d’aimables prêcheurs. Le
vide politique est tel qu’on a du mal à voir autre chose qu’une alternative
théocratique à un régime dont les partisans rappellent sans relâche qu’il est « laïc »
et qu’il demeure encore l’adversaire déclaré d’Israël.
Il y a du vrai dans ce qui précède. La perspective
que le groupe Etat islamique (Daech) ou ses alliés de fait puissent s’installer
demain à Damas est cauchemardesque. Pour autant, il est des vérités qu’il ne
faut pas oublier et que l’on se doit de rappeler sans cesse. Cette situation
dramatique, c’est bien Assad qui l’a voulue en usant, dès le printemps 2011,
d’une violence inouïe contre l’opposition pacifique et en relâchant des
milliers de prisonniers radicaux dont il savait très bien qu’ils prendraient
les armes contre son régime à la première occasion. Dans un monde où la
perception simpliste des événements est renforcée par Hollywood et les spin doctors de tout bord, la stratégie
suivie par le président syrien peut défier l’entendement. Elle ne devrait pas
surprendre les Algériens qui ont vécu dans leur chair les conséquences de la culture
des coups tordus façonnée par le KGB. Principe de base : créer un ennemi
pour garantir sa propre survie. Lui permettre d’exister. Au besoin, s’affaiblir
en le renforçant. User de cet ennemi comme levier pour exercer une violence
impitoyable contre toute autre menace. Contre toutes les oppositions…
Non. Assad est tout sauf un héros. Ce n’est pas
l’héritier lointain de Nasser. C’est un criminel qui tue son peuple après
l’avoir longtemps privé de ses libertés. Que son principal ennemi d’aujourd’hui
soit un autre monstre ne change rien à l’affaire et ne saurait lui offrir la
moindre réhabilitation ou rédemption. Une fois affirmé le principe du
« ni-Assad, ni Daech », que peut-on alors attendre pour la
Syrie ? Il y a d’abord et surtout la nécessaire solidarité avec les
réfugiés de l’extérieur comme ceux de l’intérieur. Leur venir en aide, d’une
manière ou d’une autre, peut être vu comme un acte dérisoire au regard du
fracas qui disloque leur pays. Ce n’est pas une raison qui justifie l’égoïsme.
Pour le reste, on peut juste espérer que c’est la moins mauvaise des solutions
qui se dessinera au terme de cette période de violences et de grandes manœuvres
qui masque les habituelles tractations diplomatiques. D’abord, le départ d’Assad
qui passera nécessairement par des négociations entre Moscou et Washington.
Encore faut-il que l’intéressé et son clan acceptent et que, surtout certains
membres de la coalition occidentale le veuillent aussi. En effet, quand on
répète à l’envi qu’Assad sera jugé, c’est que, quelque part, on préfère l’acculer
pour qu’il reste au pouvoir faute d’échappatoire possible…
Le départ d’Assad donc. Ensuite, la formation d’un
gouvernement d’union nationale – où la place des alaouites serait garantie et
où l’opposition islamiste (hors Etat islamique) devra nécessairement être représentée.
Cela signifie que l’Arabie Saoudite, l’Iran et la Turquie, autrement dit les
trois puissances régionales qui interviennent directement ou indirectement dans
le conflit, auront trouvé un accord en ce sens (et que les va-t’en guerre
occidentaux aillent ailleurs). L’objectif sera alors la restauration de
l’intégrité territoriale de la Syrie, le désarmement des milices et la victoire
militaire contre le groupe Etat islamique. Un programme qui paraît
insurmontable mais à défaut de le réaliser, c’est tout simplement la fin de la
Syrie en tant qu’Etat qui est annoncée.
Postscriptum du 9 octobre 2015 : Dans tout ce
fracas, que Vladimir Poutine, tueur de Tchétchènes puisse faire l’objet d’admiration
dans de nombreux pays arabes est tout simplement sidérant… On y reviendra.
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samedi 3 octobre 2015
De la recherche
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Carnet de thèse, BD, Tiphaine Rivière, Seuil, 19,90 euros.
Extraits :
Carnet de thèse, BD, Tiphaine Rivière, Seuil, 19,90 euros.
Extraits :
- La ministre : Jean-Eudes, où en êtes-vous avec les
universitaires ?
- Le conseiller : J’ai rencontré les directeurs de
laboratoire, madame la ministre. Ils demandent que nous cessions les réductions
de postes tout en exigeant moins de productivité.
- Mais qu’est-ce que vous me racontez ! N’importe
quel étudiant de 1ère année d’école de commerce sait que pour
obtenir des budgets il faut pointer des problèmes et promettre de les résoudre
le plus rapidement possible !
- Ecoutez, j’ai moi-même eu du mal à suivre, ils ont une
logique peu compréhensible… Ils disent que… Que le doute est l’incertitude sont
les meilleures armes d’une recherche ambitieuse.
- … L’in… L’incertitude ?!?
- Si j’ai bien compris, en cherchant des réponses à une
question… Les types continuent à se demander si la question qu’ils se posent
est pertinente. Et s’ils ne pourraient pas en trouver une meilleure.
- Une meilleure quoi ? Une meilleure question ?!
Mais enfin, Jean-Eudes, quand on veut des résultats, on fonce, on ne s’arrête
pas tous les mètres pour se demander si on ne pourrait pas aller courir
ailleurs !
- Eh bien, ils disent le contraire, madame la ministre.
Ils disent qu’ils ne peuvent faire de découvertes fondamentales que s’ils
cherchent sans obligation de résultat. Que si Einstein avait fait de la
recherche appliquée à court terme, il n’aurait jamais découvert la théorie de
la relativité. Autrement dit, ils disent « on cherche, et puis on verra
bien ce qu’on trouve ! ».
- … Il faut que ça cesse, à partir de maintenant, ils
devront justifier toutes leurs dépenses. Ils veulent un microscope ? Qu’ils
remplissent une demande ! (…) Continuez les suppressions de postes et
compliquez les dossiers de demande de subventions. Il ne doit plus reste que
des projets de recherche proposant un domaine d’application clair et précis. En
période de crise, ce qu’il nous faut ce sont des résultats.
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vendredi 2 octobre 2015
La chronique du blédard : Boualem Sansal et l’enfumage du monde
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Le Quotidien d’Oran, jeudi 1er octobre 2015
Akram Belkaïd, Paris
Se glisser dans les habits d’un devancier prestigieux est une tendance récurrente en littérature. C’est le cas de Boualem Sansal dont le dernier roman (*) fait écho au célèbre « 1984 » de George Orwell. Il ne s’agit pas ici de proposer une critique classique de cette fiction dont il se dit qu’elle a de fortes chances de décrocher le très prestigieux prix Goncourt (lequel sera décerné à Tunis au musée du Bardo…). Notons juste, mais ce n’est guère une surprise, que l’ouvrage est soutenu en France par l’habituelle campagne médiatique à propos de la « solitude » de l’auteur dans son pays d’origine, des « menaces » dont il fait l’objet de la part des islamistes ou de la « censure » que lui inflige le pouvoir algérien. Sous le ciel d’Alger-en-Saint-Germain, le quadriptyque « solitude – menace – fatwa - censure » est un excellent argument marketing pour attirer le chaland. Un bla-bla bienveillant, pour ne pas dire paternaliste, qui empêche de se pencher sérieusement sur la valeur littéraire du texte et, plus encore, sur sa pertinence politique.
Entendons-nous bien. Un roman n’est absolument pas obligé de délivrer un message militant. C’est ce qu’a d’ailleurs trop longtemps ignoré la littérature algérienne d’expression française. Mais quand on a le culot de prétendre reprendre le flambeau d’Orwell, il est nécessaire de bien choisir son sujet car il s’agit tout de même de se projeter dans le futur. L’auteur de « La Ferme des Animaux » (Animal Farm) ou de « Hommage à la Catalogne » (Homage to Catalonia) a été autant un écrivain engagé qu’un visionnaire. Homme de son temps, combattant les armes à la main contre le franquisme en Espagne, il a su « voir loin » et anticiper la persistance et la mutation des systèmes totalitaires. Ainsi, « 1984 » et son fameux « Big Brother » ne sont pas uniquement la critique du nazisme ou du communisme. Cette inégalable mise en garde vaut encore pour notre époque où la propagande et la mise sous coupe réglée des individus n’est pas l’apanage des seules dictatures.
Dans la marche de notre monde, il y a, d’un côté, le bruit et la fumée tandis que, de l’autre, on trouve les forces telluriques d’une puissance insoupçonnée qui préparent l’avenir de l’humanité. Dès lors, le choix est simple. On peut enfoncer des portes ouvertes et écrire une énième dénonciation de l’islamisme ce qui, entre autre, confortera les idées reçues à propos de la supériorité morale et politique de l’Occident face à un monde arabe en pleine déroute. Ce faisant, on participera à cette vaste supercherie qui tend à faire croire que le problème principal de la planète est le djihadisme et notamment les agissements du groupe Etat islamique (EI, communément appelée Daech).
Bien sûr, il faut être clair dans son propos. Il est évident que l’OEI est un danger et personne de censé ne peut nier le caractère sanguinaire et totalitaire de cette secte millénariste. Mais l’histoire regorge de multiples devanciers de « Daech », de ces forces du mal – si l’on veut s’en tenir à une approche binaire – qui finissent toujours pas être vaincues avant que n’en apparaissent de nouvelles. Le fond du problème c’est que la focalisation sur ce thème occulte ceux dont Orwell se serait certainement emparé s’il était encore vivant. Où va notre monde ? Qu’est-ce qui le menace, sérieusement ? L’intégrisme religieux ? Ah, que ce thème est bien utile… Débats, livres, dépenses militaires en hausse, lois liberticides, obsessions sécuritaires : pour faire oublier les courbes du chômage qui montent au ciel, l’explosion des inégalités, la mise au pas et la concentration des médias, le pouvoir croissant des multinationales au détriment des Etats et la persistance d’un déséquilibre mondial en matière de répartition des richesses, il n’y a rien de mieux que d’occuper le citoyen en aggravant sa peur.
Une littérature se revendiquant d’Orwell devrait plutôt évoquer cette révolution technologique en cours qui menace à terme de priver des millions de personnes de travail. Elle devrait s’emparer de cette « uberisation » croissante de l’économie où la convergence entre internet et l’exigence d’une hausse sans fin de la productivité nous mène à une catastrophe sociale d’envergure. Nous vivons déjà dans un monde où de belles expressions comme « économie collaborative » signifient la destruction de milliers d’emplois, la disparition de la protection sociale et le retour du travail payé à la tâche. Bienvenue au dix-neuvième siècle ! Une littérature orwellienne devrait anticiper ces lendemains inquiétants que nous préparent, faute de vigilance politique et citoyenne, les progrès foudroyants de l’intelligence artificielle couplés à ceux de la robotique. Aujourd’hui, déjà, une vie privée et des données personnelles traçables en permanence et transformées en marchandises. Demain, des systèmes intelligents capables de s’auto-dupliquer et de supplanter l’homme ? De le mettre sous tutelle ? De le détruire ? L’auteur de cette chronique est ingénieur de formation et a toujours cru aux vertus du progrès technologique. Mais ce n’est pas une raison pour en éluder les menaces. L’emprise de la machine et « la fin de l’homme » après celle « du travail » est une possibilité que les œuvres d’anticipation du vingtième-siècle ont vu venir mais que la littérature récente persiste à ignorer. Il est peut-être temps de revoir « Le cerveau d’acier » (Colossus : The Forbin Project, 1970), film adapté d’un roman de Dennis Feltham Jones où deux supercalculateurs, l’un américain, l’autre soviétique, prennent « conscience » d’eux-mêmes et décident de détruire l’humanité. Science-fiction ? Pas si sûr…
Pour en revenir au djihadisme, rappelons simplement qu’Al Qaeda a effectivement détruit les tours jumelles de New York et tué des milliers d’êtres humains mais relevons aussi que cette organisation et ses avatars n’ont certainement pas empêché que des milliards de dollars se déversent dans la Silicon Valley où se bidouille un futur inquiétant. Comment qualifier les années 2000 ? Celles de l’émergence de l’hyper-terrorisme ou bien alors celles du boom des « quatre fantastiques », ces GAFA, autrement dit Google, Apple, Facebook et Amazon, qui dominent le web ? Google, dont les deux fondateurs dépensent des millions de dollars dans le développement de l’intelligence artificielle… Et ce n’est pas un hasard si l’on retrouve ces mêmes personnages, et d’autres « entrepreneurs », aux sources de la recherche sur « l’amélioration » de l’humanité. Oh, pas toute l’humanité mais juste celle qui aura les moyens de payer pour vivre jusqu’à cent ans ou être débarrassées des maladies. Il y a quelques semaines, The Economist consacrait un article sur la thérapie génique avec ce titre édifiant : « Editing humanity » autrement dit, réviser, corriger ou encore améliorer l’humanité. Glaçant…
Un nouvel ordre mondial, respectivement façonné par le marché, par des principes néolibéraux et libertariens, par une technologie de plus en plus intelligente et par un néo-eugénisme qui ne dit pas encore son nom, voilà ce qui se dessine dans un contexte où les démocraties perdent de leur vigueur et où la presse, exsangue, ne joue plus son rôle de vigie. Cela rend la littérature indispensable encore faut-il qu’elle ne participe pas à cet enfumage dilatoire qui nous fait croire que Daech est bien plus dangereux que des nanotechnologies échappant à tout contrôle. L’islamisme politique et ce qu’il charrie de bigoterie et de comportements régressifs méritent d’être dénoncés. Cela est fait de manière régulière. Quotidienne. Fort de sa notoriété, et souhaitant marcher sur les traces d’Orwell, Boualem Sansal aurait mieux fait de choisir un vrai sujet pour échapper au cadre culturel convenu dans lequel il est lui-même maintenu. Tout aussi important, il aurait pu mettre sa notoriété au service d’un objectif important, celui de permettre à ses propres concitoyens d’échapper aux débats éculés et de sortir de leur isolement intellectuel en prenant la mesure du monde tel qu’il menace d’évoluer.
(*) 2084, Gallimard, 288 pages, 19,50 euros.
Erratum : Concernant le Prix Goncourt, c'est l'avant-dernière sélection qui sera annoncée au Musée du Bardo.
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Erratum : Concernant le Prix Goncourt, c'est l'avant-dernière sélection qui sera annoncée au Musée du Bardo.
jeudi 1 octobre 2015
Des va-t-en-guerre irresponsables
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Dans un texte récent, l'essayiste et journaliste Jean-Claude Guillebaud (Réflexion faite, L'Obs, 24 septembre 2015) dénonce "le discours belliqueux qui revient en force", mélange d' "emportement irréfléchi" et de "pure bêtise".
Extraits :
"Nous ne savons plus 'penser' la guerre. Nous avons dramatiquement désappris la réflexion 'polémologique'. J'emprunte cet adjectif au grand sociologue Gaston Bouthoul (1896-1980), fondateur, avec la journaliste féministe - et pacifiste - Louise Weiss, de l'Institut français de Polémologie (du grec 'polemos', la guerre), afin d'étudier scientifiquement le phénomène guerrier. Pour le contenir.
Pour Bouthoul, on est souvent tenté d'expliquer que les démocraties et les républiques ne sont jamais belliqueuses. Il s'inscrivait en faux contre cette assertion. Il se trouve que, même en démocratie, la guerre flatte les décideurs et reste une tentation permanente. Elle permet au pouvoir exécutif d'obtenir l'obéissance des citoyens et, aujourd'hui, de gagner des points dans les sondages. Elle reste la 'solution la plus flatteuse pour les gouvernants'.
'Aussitôt la guerre déclarée, ajoutait Bouthoul, le plus terne des hommes politiques devient une sorte de pontife sublime et auréolé.' ".
(...)
Après avoir rappelé l'exemple de différents conflits : Malouines (1982), Première Guerre du Golfe (1991), Afghanistan (2001), Invasion de l'Irak (2003) et Libye (2011), Jean-Claude Guillebaud rappelle en guise de conclusion que : "quand une entrée en guerre est irréfléchie et bêtement émotionnelle, des hommes meurent pour rien et des peuples lointains, ensuite, en paient les conséquences sur plusieurs générations."
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Dans un texte récent, l'essayiste et journaliste Jean-Claude Guillebaud (Réflexion faite, L'Obs, 24 septembre 2015) dénonce "le discours belliqueux qui revient en force", mélange d' "emportement irréfléchi" et de "pure bêtise".
Extraits :
"Nous ne savons plus 'penser' la guerre. Nous avons dramatiquement désappris la réflexion 'polémologique'. J'emprunte cet adjectif au grand sociologue Gaston Bouthoul (1896-1980), fondateur, avec la journaliste féministe - et pacifiste - Louise Weiss, de l'Institut français de Polémologie (du grec 'polemos', la guerre), afin d'étudier scientifiquement le phénomène guerrier. Pour le contenir.
Pour Bouthoul, on est souvent tenté d'expliquer que les démocraties et les républiques ne sont jamais belliqueuses. Il s'inscrivait en faux contre cette assertion. Il se trouve que, même en démocratie, la guerre flatte les décideurs et reste une tentation permanente. Elle permet au pouvoir exécutif d'obtenir l'obéissance des citoyens et, aujourd'hui, de gagner des points dans les sondages. Elle reste la 'solution la plus flatteuse pour les gouvernants'.
'Aussitôt la guerre déclarée, ajoutait Bouthoul, le plus terne des hommes politiques devient une sorte de pontife sublime et auréolé.' ".
(...)
Après avoir rappelé l'exemple de différents conflits : Malouines (1982), Première Guerre du Golfe (1991), Afghanistan (2001), Invasion de l'Irak (2003) et Libye (2011), Jean-Claude Guillebaud rappelle en guise de conclusion que : "quand une entrée en guerre est irréfléchie et bêtement émotionnelle, des hommes meurent pour rien et des peuples lointains, ensuite, en paient les conséquences sur plusieurs générations."
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